Chronique judiciaire.
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Tribunal correctionnel de Nancy.
Audience du 23 avril 1852. Messieurs Berlet, vice président, Granier, substitut.
CHASSE – TEMPS PROHIBÉ – BÊTES FAUVES – GRUES –PROPRIÉTAIRE .
Les grues, lorsqu’elles s’abattent par bande sur des champs ensemencés, et les dévastent, doivent être assimilées aux bêtes fauves, qu’au terme de l’article 9.3 de la loi du 3 mai 1844, les propriétaires ont le droit de repousser et de détruire en tout temps, même avec des armes à feu, quand elles causent du dommage à leurs héritages.
En conséquence, le propriétaire qui, en temps prohibé, tire un coup de fusil sur une bande de grue, qui dévaste son champ ensemencé, ne commet pas un délit de chasse, alors surtout qu’il laisse sur place une grue qu’il a tué. Il apporterait peu d’ailleurs que cet animal eût été trouvé ultérieurement en sa possession.
Ministère public contre Compas.— JUGEMENT .
Le tribunal : attendu que, dans la journée du 20 mars dernier, à Vandières, Étienne Compas, menuisier, père de sept enfants, ayant appris qu’une bande considérable de grues s’est abattue sur un champ qu’il avait ensemencé de blé pour nourrir sa famille, et le dévastait depuis plusieurs jours, s’y rendit armé d’un fusil dans l’intention de les faire partir et de les empêcher de revenir.
Qu’en effet, il tira sur cette troupe de grue un coup de fusil qui en tua une, puis il se retira sans emporter cette grue qu’il laissa sur place.
Attendu qu’un fait de chasse comporte l’intention et a pour but de la part du chasseur, d’appréhender et de s’approprier l’animal sauvage qui en est l’objet, ce qui ne se rencontre pas dans la cause actuelle.
Attendu aussi que les grues voyageant en bande sont des animaux nuisibles et destructeurs pour les propriétés sur lesquelles elle s’arrêtent, témoin la plaine de la Sologne, dévastée par elle en octobre 1753.
Attendu, dès lors que le fait poursuivi à la charge d’Étienne Compas, constitue bien moins un acte de chasse de sa part, que l’exercice du droit de légitime défense de sa propriété, dans le sens du § 3 de l’article 9 de la loi du 3 mai 1844, qui permet « aux propriétaires ou fermiers de repousser, ou de détruire, même avec des armes à feu, les bêtes fauves qui porteraient dommages à sa propriété.
Attendu enfin que si, postérieurement au fait dont il s’agit, un employé du chemin de fer de Vandières, ayant trouvé la grue, tuée par Compas, et la lui ayant rapportée, celui-ci l’a reçue et en a disposé à son profit, c’est là une circonstance indifférente en elle-même. Quelle est, au surplus, en dehors, du fait principal et, par conséquent, ne peut pas rétroagir sur lui pour déterminer une condamnation ruineuse, que repousse une sage interprétation de la loi, au double point de vue de la raison et de l’humanité.
Par ces motifs, renvoie Étienne Compas des fins des poursuites dirigés contre lui.
Publié dans le Journal des chasseurs octobre 1851 septembre 1852