13/09/2025

Les expulés de Metz




Le journal de Cette du 23 août 1914.

De Metz à Nancy.

Dans l’est républicain de Nancy que dirige avec autorité notre bon confrère René Mercier, autrefois rédacteur de la dépêche à Montpellier nous trouvons cet intéressant article de reportage qui précise certains fait vécu par les expulsés de Metz :
1200 étrangers, expulsé de Metz par les Allemands, sont arrivés vendredi matin à Nancy, après trois journées et demi de pérégrinations dont la douleur ne fut compensée que par l’accueil reçu à partir de la frontière française.
Français, belges, russes ou polonais, tous sont partis à la hâte, en portant seulement avec eux quelques vêtements de rechange, en un ballot ou dans une valise, et avec le seul argent qu’il pouvait avoir à la maison. C’est en vain, en effet, qu’on pouvait avoir un dépôt dans les banques. Les banques avaient fermé leurs guichets, avant la déclaration officielle de la guerre. Aussi, la plupart de ces malheureuses familles sont-elles dans le plus complet dénuement.
Nous avons pu nous entretenir assez longuement avec un belge, qui cherchait à Nancy l’adresse de son consul, et voici son histoire :
C’est, au surplus, celle de tous ses compagnons.

Des provisions.
Il n’y a plus de 13 ans, nous dit-il, que je suis établi à Metz, où je travaillais, depuis 10 ans, dans la même maison. J’étais coupeur dans une grande chemiserie. J’avais de beaux appointements, 300 francs par mois, et j’avais pu acheter un jardin et une petite maison à Plantières. 
Il m’a fallu laisser brusquement tout cela et la banque m’a refusé un dépôt de 700 marks.
Vous n’aviez donc pas pu prendre vos précautions ?.
Que voulez-vous ? On espérait toujours que ça s’arrangerait. À la fin cependant, on devenait inquiet. Ce fut de l’anxiété lorsqu’on nous prévint qu’il fallait faire des provisions pour six mois. Pour mon compte j’ai acheté des conserves de toutes sortes, de quoi vivre au moins trois mois. j’en aurais peut-être acheté encore davantage, mais tout augmentait dans des proportions exorbitantes, et nous ne pouvions déjà plus retirer aucun argent.
Toutes ces provisions seront maintenant perdues ?
À non! Avant de partir, j’ai tout distribué à ceux de mes voisins, Lorrains et que je savais français de cœur.

Dans la nuit.
C’est dans la nuit de dimanche à lundi qu’un agent est venu frapper à ma porte. Il est exactement une heure du matin.
Ouvrez, au nom de la loi ! Criait-il. Je descendais en toute hâte, et il m’a remis mon arrêt d’expulsion. Je devais être à la gare au plus tard, à midi et demi, avec tous les miens.
On aurait voulu emporter bien des choses, au moins tout ce que nous avions de plus cher. Mais il nous fallut nous contenter de l’indispensable. Nous avons pris tout simplement un peu de linge et quelques provisions. J’ai deux valises et un baluchon. Son fils, un garçon de 20 ans assiste à l’entretien. Mon fils en prit autant, tandis que ma femme avait assez comme lourd fardeau de notre petit-fils, un bébé qu’on nous a envoyé d’Anvers, et dont le père, mon aîné, a été appelé sous les drapeaux.

Il faut que je me paie.
Alors vous avez un enfant dans l’armée belge ?
J’en ai deux et le troisième que voici va s’engager aussitôt que nous aurons été rapatriés.
Vous allez-vous engager ? Demandons-nous au fils. C’est très bien.
Et le fils de répondre avec un large sourire:  il faut bien que je me paye sur leur peau.
Savez-vous qu’ils se conduisent comme des héros, les Belges ?
À pour sûr ! mais nous avons connu seulement leur succès à Pagny sur Moselle. À Metz, en effet, chaque jour, on annonçait des victoires et lorsque la nouvelle de la prise de Liège fut connue, ce fur des hoch sans fin, des ovations interminables, un vrai délire.

le mensonge allemand.
Il en était de même, bien entendu, chaque fois qu’ils avaient battu ces chiens de français, et je vous assure qu’il y a eu de beaux cris dans les rues, lorsqu’on a apprit que Pont-à-Mousson était brûlée, rasée et qu’ils arrivaient à Nancy !
C’est avec s’ces mensonges qu’on réchauffe le patriotisme.
Et il en a besoin d’être réchauffé, leur patriotisme. Tenez, la semaine dernière, j’avais deux réservistes à loger. C’était deux Westphaliens, ils passaient leur temps à pleurer. En voilà deux qui ne bénisse pas le kaiser. Ils allaient à la guerre avec l’entrain de chien qu’on fouette. Figurez-vous qu’il me faisait pitié et que je les ai consolé en leur disant que les Français ne sont pas des sauvages.

Le départ.
Mais revenons à notre départ. J’arrivais donc, lundi, à la gare de Metz, un peu après-midi. Nous étions là, un milliers et il est arrivait encore. 
On nous parqua dans les salles d’attente, puis on procéda à l’appel. Par paquet de dix, on nous conduisait au compartiment. Un soldat, baïonnette au canon, se plaçait à chaque portière.
On ne vous a pas brutalisé ?
Non les agents ont été corrects, à la condition de ne pas faire appeler deux fois.

De Novéant à Pagny
On alla ainsi, par le train, jusqu’à Novéant. Là, il fallu descendre. Notre troupeau se forma par rangs de quatre et, précédé d’un officier, escorté de fantassins, pris la route d’Arnaville. Là, les prussiens nous laissèrent et firent demi-tour.
Nous savions que nous approchions des avant-postes français. Toute la troupe se transforma à tout hasard en parlementaire, en arborant nos mouchoirs au bout de nos bâtons, de nos cannes ou de nos parapluies.
Nous pensions arriver le soir même a Vandières. Malheureusement on allait pas bien vite, car les meilleurs marcheurs devaient attendre les traînard, les vieux, les femmes et enfants.
On reste donc à Pagny, et, pour mon compte, je fus héberger chez M. Villemin, un brave hôtelier qui nous donna deux lits. Les camarades se répandirent dans le village, où, nous devons le proclamer bien haut, on n’aurait pas mieux reçu des parents.

Quelqu’un trouble la fête. 
On a pris là que les prussiens y avaient poussé des pointes, sans faire de mal, ailleurs qu’aux caves et aux poulaillers. Ils avaient pris aussi huit vaches. Ils étaient en train de se saouler, lorsque des chasseurs français vinrent interrompre la fête en leur mettant la fourchette dans les reins.
Ah ! Ils ont de l’entrain, les vôtres ! On aurait dit que ça les amusait de se battre.
Le lendemain matin, réconfortés autant par tout ce que on voyait, par les bonnes nouvelles, que par un bon repas et une bonne nuit, on se remet en route pour Vandières.

Courage.
On ne trouvait plus les kilomètres longs. À chaque poste français, on nous réconfortait, on nous serrait la main.
Courage ! Courage ! Bientôt vous rentrerez chez vous en maîtres. 
Un adjudant qui avait un numéro de l’est républicain nous donna lecture de la victoire beige devant Liège. Et vous pensez bien que pour mon compte, je pleurais de joie.

À Pont-à-Mousson.
À Pont-à-Mousson, qu’on nous avait dit détruite, le même accueil qu’à Pagny et à Vandières nous attendait. Là, nous montâmes sur des chars et c’est dans un attirail pittoresque, juché au petit bonheur sur des sacs de paille, que l’on arriva à Frouard, d’où le train nous a menés jusqu’ici.

Et Samain ? Et les confrères ?
Avant de quitter Metz, avez-vous appris que Samain avait été fusillé ?
Oui, nous l’avons entendu dire. Une chose est en tout cas certaine, c’est que personne ne l’a revu à Metz.
Et nos confrères des journaux français ?
Monsieur pignon, du Messin, a été arrêté. J’ignore, depuis, quel est son sort.
Monsieur Houppert, doit être aussi coffré en tout cas, il n’a pas reparu à son journal. 
Il y a aussi les frères Bena, qu’on a inquiétés. L’un, l’avocat, a dû verser une caution de 80 000 mark. Son frère, le docteur, doit être toujours en prison.
C’est parce qu’ils appartenait sans doute au souvenir français ?
Non, ou du moins ce ne serait pas seulement pour cela. Les prussiens les ont accusés, en effet, d’avoir empoisonné les eaux !
Les trois couleurs.
Comme notre brave belge exhibe une cocarde tricolore, nous lui demandons en souriant: 
vous n’avez pas arboré ces trois couleurs à Metz ?
Ah non ! Nous les avons acheté en France, le long de la route. Tout le monde en a, les femmes au corsage, les hommes au chapeau. On est pas riche, mais tant pis. Nous étions si heureux, si fiers d’arborer les couleurs française. Ils nous semblait qu’elle nous porterait bonheur, et qu’elle nous mettait en sûreté.
Et maintenant, le plus dur est passé. Encore un jour ou deux, et tous ceux qui ont encore la force de tenir un fusil, s’en iront faire le coup de feu.
Il ne faut pas qu’il en échappe un seul de ces coquin là.

Vous êtes belge ?
Un autre expulsé est venu nous voir. Et voici ce qu’il nous a conté :
Depuis quinze jours on nous avait habillé en soldat. Nous transportions toute la journée des obus et des munitions dans les forts.
À mon dieu ! Qu’on était mal nourri, quand on était nourri.
On nous aurait sans doute retenu ainsi en esclavage jusqu’à je ne sais quand si les Allemands n’avaient pas appris la résistance héroïque de nos compatriotes.
Quand ils ont eu les nouvelles, ils nous ont enlevé l’uniforme, et ils nous ont expulsés, en nous donnant trois heures de délai. Passé cette heures nous étions prisonniers de guerre. 
Je voulais passer par le Luxembourg pour rejoindre mon pays. À la gare je demandais l’autorisation au Major.
Vous êtes belge ? Interroge-t-il.
Oui.
Eh bien, vous partirez vers Novéant avec le troupeau et je souhaite qu’on vous arrange là-bas comme vous arrangez les nôtres.
Qu’est-ce qu’on leur fait ?
On les lie au poteau, et les femmes leur crèvent les yeux avec des épingles.
Ce militaire doit prendre les Belges pour les Allemands sans doute.

Les fausses nouvelles.
D’ailleurs les journaux écrivent l’histoire de la même façon. Le Metzer Zeitung, que j’avais dans la poche, racontait hier que Pagny était bombardé, Pont-à-Mousson en flamme, et qu’on entrerait à Nancy aujourd’hui ou demain avec le prince Impérial, que j’ai vu à Metz en auto en costume de hussard de la mort.
Nous nous sommes aperçus que ce n’était pas tout à fait cela.

Un coup de baïonnette.
On nous a donc mis dans le train gardé par des soldats.
À Novéant on nous a débarqués, mis en rang et chassés. J’étais éreinté par la chaleur et le poids de mes pauvres colis.
Un des Bavarois me pousse. Je proteste. Il me donne un coup de crosse. Je regimbe. Il m’envoie dans la cuisse un coup de baïonnette qui heureusement n’a déchiré que mon pantalon et ma chemise.
Sans ma femme, qui m’a supplié de me taire, je crois bien qu’il serait arrivé un malheur.

À Pagny.
Enfin nous arrivons à Pagny. On nous accueille à bras ouverts. On nous loge à la mairie, à la Croix Rouge, chez les habitants si affectueux pour nous.

Les uhlans surpris.
Dans la nuit nous dormions, c’était la nuit de mercredi à jeudi, quand nous entendons des coups de fusil. C’était des uhlans qui venaient enlever quelques provisions comme ils avaient fait la veille. Mais les chasseurs français, qui étaient en embuscade les avaient canardés. Huit uhlans sont restés sur le carreau pendant que les autres prenaient la fuite. 
Aux postes français.
Le jeudi matin nous reprenions le chemin vers Nancy, et nous étions arrêté à chaque poste. Quel entrain partout ! Quelle joie d’avoir bientôt à combattre !
Les soldats français étaient joyeux comme ils n’est pas possible de l’être. Ils nous donnaient du vin, de la viande, du pain. Il nous promettaient un retour prochain à Metz, chez nous disaient-ils.
C’était une fête chaque fois que nous les rencontrions.
Puis on avait acheté des drapeaux, des rubans et on portait les trois couleurs au chapeau, sur la poitrine partout.  Ah je le garderai, tout cela !

La situation à Metz.
Et là-bas, à Metz qu’est-ce qu’on pense, qu’est-ce qu’on dit ?
On pense que dans trois semaines on mourra de faim. Le maire, M. Forêt a demandé aux autorités militaires quelles n’expulsent pas les commerçants. Les prussiens ne veulent rien savoir.
Mais en revanche, si les soldats ne sont pas bien nourris, et si la population connaît la famine, on les gorge d’heureuses nouvelles qui ne coûte rien au service de l’intendance.

Pas un !
On nous disait que les Français, après être arrivé près de Mulhouse avait été repoussés jusqu’au au-delà de Belfort. Qu’on avait fait 2000 prisonniers, qu’on allait les amener à la caserne du génie de Metz. Qu’on avait pris douze canons, trois mitrailleuses. Que les Allemands avaient envahi la France. Je n’ai pas vu de prisonniers français à Metz, ni de canons français ni de mitrailleuses françaises.
Mais ce que j’ai bien vu en arrivant à Pagny, c’est que je n’ai pas vu un seul allemand sur le sol français. Pas un !

Alexis Samain


Alexis Samain (1884-1940) président du souvenir français, association créée en 1887 pour commémorer les 100 000 soldats français morts pendant la guerre Franco-prussienne de 1870. Présente en Moselle occupée depuis 1906, elle finit par être interdite en 1913. 
Alexis Samain a bien été arrêté mais envoyé à la citadelle D’Ehrenbreistein. Il a été ensuite envoyé sur le front russe. Il revient à Metz le 18 novembre 1918 et participe aux cérémonies de la libération aux côtés des autorités militaires. 

Paul Pignon (1849-1927) rédacteur en chef du journal Le Messin.

Nicolas Houpert (1859-) rédacteur en chef du journal Le Lorrain. Décoré de la légion d’honneur en 1921. 

Journaux interdits de parution 31 juillet 1914 : Le Messin, Le Lorrain et Le courrier de Metz.  

Joseph Albert Béna (1875-1953) avocat. Décoré de la légion d’honneur en 1921. 
Victor Alfred Béna (1889-1944) médecin. 

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