29/09/2025

Les martyrs de Vandières 5 - Une curieuse lettre

L’est républicain du 26 juin 1920. 

Von Keyser Le soudard de Vandières ouvrira le défilé des coupables.
Avant le Procès de Leipzig.  Comment il prépare sa défense.  Une curieuse lettre 

Bientôt les coupables allemands comparaîtront devant la cour de Leipzig. Le commandant major von Keyser, du 65ème d'infanterie, ouvrira le défilé. C'est lui qui, dans les premiers mois de la guerre, terrorisa les populations de Jarny, Pagny-sur-Moselle, Vandières, Norroy, Vilcey-sur-Mad, etc... 
On lui reproche notamment les massacres de Jarny, au cours desquels le maire, le curé et de nombreux habitants furent fusillés sans motif, il serait responsable également de la mort de six personnes de Vandières, dont M. le curé Mamias. 
Depuis septembre 1914, von Keyser avait disparu de cette région pour la plus grande joie des habitants. 
On n'avait plus entendu parler de lui. Aussi une personne de Pagny, une Française dont l'attitude fut admirable pendant la guerre, a-t-elle été assez surprise de recevoir du soudard allemand une longue lettre. Elle avait été obligée de le loger pendant les quelques semaines qu'il passa en septembre 1914 à Pagny-sur-Moselle et c’est à ce titre, qu'il lui a écrit. 
Von Keyser, en proie aux noirs soucis de son prochain procès, recherche des témoins qui pourront rapporter à son actif quelques traits d'humanité qu'il veut monter en épingle. 
Il avait, paraît-il, des jours de férocité , et des jours de clémence, il ne se souvient plus que de ces derniers et il en est volontiers vaniteux. Il se glorifie notamment d'avoir eu quelques égards pour un médecin français qui était prisonnier et dont il recherche l'adresse. Il en profite pour se représenter comme un humanitaire méconnu. 
Il dit notamment dans cette lettre qui provoque une douce hilarité à Pagny-sur-Moselle : 
« Vous avez dû lire mon nom dans la liste des soi-disant coupables de la guerre. Pour le moment je ne veux pas en dire plus long sur ces accusations. Comme vous me connaissez et que souvent je vous ai fait part de mon opinion qu'il fallait adoucir la guerre, Vous me rendrez cette justice que vous ne croyez pas à ma culpabilité. Ceci concerne surtout particulièrement le cas du malheureux prêtre Mamias. 
Comme premier qui passera devant le tribunal d'Empire de Leipzig, je porterai ce thème devant la cour. Le verdict, ce qui veut dire l’acquittement, car il viendra du moment que je ne suis pas coupable. Je vous le communiquerai plus tard. » 
Que pense-t-on à Pagny-sur-Moselle du commandant major von Keyser ? Qu'a-t-il fait pour adoucir la guerre, ainsi qu'il s'en félicite au moment de comparaître devant la cour d'Empire ? 
M. Robert, ancien instituteur, qui est resté pendant l'occupation ennemie à la mairie de Pagny, n'a pas besoin de rechercher dans ses souvenirs pour évoquer la silhouette du féroce commandant. 
Personne ici n'oubliera Von Keyser, nous dit-il. De taille moyenne, trapu, il était d'une laideur peu commune. Avec ses petites moustaches « poil de carotte », ses lunettes d'écaillé, sa tête carrée, on eut dit une véritable caricature, un de ces « boches » comme on en voit dans les jeux de massacres. Toujours hurlant, toujours sacrant, il noms fourrait son revolver sons le nez sous le moindre prétexte. 
Avait-il besoin d'une voiture, il bondissait, brandissant son arme en criant « une voiture ou dans cinq minutes vous êtes mort ! » 
Vous comprenez qu'on n'oublie pas fatalement un gaillard qui vous tient de tels propos. 

M. Alfred Brichon confirme cette impression. - Je le vois toujours, nous dit-il, grimaçant devant moi, le revolver à la main, alors qu'il faisait réquisitionner mes chevaux. Pendant près d'une demi-heure il m'a tenu par la gorge comme s'il voulait m'étranger. 

M. Barthélémy, qui remplissait les fonctions de maire à Pagny, a gardé lui aussi le plus fâcheux souvenir de ses relations avec Von Keyser. 

Une figure bestiale. Son aspect ne plaidait pas en sa faveur. Il avait toujours la menace sur les lèvres et le revolver à la main. Que de fois je l'ai entendu me dire : « Monsieur le maire, j'ai fait fusiller les gens de Jarny. Si cela ne va pas mieux ici vous subirez le même sort ». Il nous gardait prisonniers à chaque instant. Ses ordres de réquisition devaient être exécutés en un clin d'oeil. 

Un autre habitant nous conte cette anecdote : 

Au début dès hostilités, M. Husson, alors âgé de près de 80 ans, était maire. Von Keyser le somma un jour de lui procurer en quel-ques minutes 35 kilos de saucisson. M. Husson riposta que ses jambes n'étaient plus assez alertes et qu'il ne pouvait faire la tournée du village. 

Von Keyser entra dans une fureur dont on se souviendra longtemps à Pagny. Parcourant la grande rue en décrivant des vastes cercles avec ses bras il s'écriait, congestionné : 

Mais Monsieur le maire, vous êtes un zéro. Je fous réfoque, je fous réfoque ! un zéro, un triple zéro ! 

M. Husson fut, comme bien on le pense, enchanté de ne plus avoir affaire au terrible major. 

Un autre jour, von Keyser avisant un des notables de Pagny, M. Boudat, qui puisait dans ses convictions religieuses une sérénité imperturbable, lui dit l'air goguenard, le revolver au poing : 

Vous n'avez pas l'air d'avoir peur de moi ! 

M. Boudat, indifférent, répondit : « Je ne crains que Dieu ». 

Von Keyser s'écria que c'était prodigieux de voir un homme comme cela et qu'il en ferait volontiers un préfet, ce qui ne l'empêcha pas d’ailleurs un peu plus tard de braquer son revolver à différentes reprisés vers M, Boudat. 


En quelle mesure von Keyser est-il responsable de la mort des otages de Vandières et notamment de l'abbé Mamias ? Nul ne saurait le préciser à Pagny. On vit vers la fin de septembre l'abbé Mamias et ses malheureux compagnons passer entre des Soldats allemands baïonnette au canon. On les conduisait vers Arnaville où ils furent fusillés sur la route, à la sortie du village. 

Au cours de notre enquête à Pagny, nous avons pu recueillir cependant des détails assez curieux qui projettent un jour singulier sur l'hypocrisie de von Keyser. 


Quelques jours avant la fin tragique de l'abbé Mamias, Von Keyser qui avait entendu parler de l'intelligence et de l’activité du curé de Vandières, le fit venir à Pagny et le retint à dîner. Les désirs de von Keyser étant des ordres, l'abbé Mamias dut s'y conformer à contre-coeur. Von Keyser fit le bel esprit, joua au galant homme devant les quelques personnes présentes et le dîner terminé, déclara dans son entourage que l'abbé Mamias était dangereux et qu'il fallait songer à s'en débarrasser. 

C'est un homme trop fin que pour être Curé d'un petit village comme Vandières, disait-il. Il y a du louche là-dessous. Il a dû être placé exprès à la frontière par son gouvernement !

Von Keyser voyait des espions partout. M. Pinot, qui fut maire dé Vandières pendant la guerre et que nous sommes allé voir, nous dit : « Cet homme avait l'a hantise de l'espionnage. Commandant de la place de Pagny. il était chargé des réquisitions et du service des renseignements dans la région, il allait en automobile jusqu'aux premières lignes de Norroy. Chaque fois que l'artillerie française tirait sur Vandières, il prétendait que l'on faisait des signaux et parlait de me faire fusiller. Dès qu'un obus tombait, il se dressait revolver au poing, hurlant que j'avais un téléphone dans ma cave. 

Lè 26 septembre, des projectiles ayant atteint l'ambulance allemande de Vandières, il me fit conduire chez l'abbé Mamias et nous retint prisonniers. On perquisitionna chez moi. Le lendemain on me remit en liberté, puis on m'arrêta encore pour me relâcher quelques heures après. 

Le commandant von Keyser dirigeait l'enquête qui ne prouva d’ailleurs rien. Les allemands avaient le droit de tirer, mais quand les Français répondaient, Von Keyser se fâchait tout rouge. Enfin, après un dernier conciliabule avec un capitaine d'artillerie, il fit emmener  à Pagny l'abbé Mamias et cinq autres habitants, dont trois garçons de culture âgés de 21, 20 et 15 ans. 

De Pagny, ils furent dirigés Sur Arnaville et c'est à la sortie de cette commune que leur escorte les fusilla. Jamais, ajoute M. Pinot, les allemands n'ont tenté de justifier ce crime. 

Le lendemain je reçus un papier disant que l'abbé Mamias et ses compagnons avaient été exécutés parce qu'ils avaient voulu s'enfuir ce qui était faux. Personne dans le village ne voulait croire à cet acte de sauvagerie. On pensait qu'ils étaient prisonniers. C'est seulement vers 1916 que nous eûmes confirmation de leur mort par des personnes d'Arnaville. 

Et M. Pinot conclut : « Von Keyser est bien mal venu aujourd'hui de vouloir dénier sa responsabilité dans le meurtre de l'abbé Mamias et de ses compagnons. 


C'est lui qui a dirigé le semblant d'enquête et qui a ordonné les arrestations. Il était tout puissant. Il semble d'ailleurs qu'il avait prémédité de se débarrasser de M. l'abbé Mamias. 

En tout cas ses procédés ont toujours été ceux d'un véritable « soudard » vis-à-vis de la population. 

Je parle sans passion, dit encore M. Pinot car je reconnais qu'après Von Keyser nous avons eu parfois des commandants de place qui tout en étant rigoureux étaient cependant corrects. 

La cour de Leipzig avant d'entendre le « thème » de von Keyser, pourra utilement se renseigner près des populations de la région de Pagny. Ce n'est certainement pas les renseignements qu'elle pourra ainsi recueillir qui l'inciteront à rendre le verdict d'acquittement que Von Keyser attend. 


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