L'est républicain du 27 mars 1924.
Comment Von Kayser fit assassiner les otages de Vandières
Le major Von Kayser, du 65ème régiment d'infanterie allemand, que le conseil de guerre de Nancy vient de condamner à mort par contumace, est bien connu dans la région de Pagny-sur-Moselle, où il exerça au début de la guerre les fonctions de commandant d'armes.
Il incarnait le vrai type du « soudard ». De taille moyenne, trapu, il était d'une laideur peu commune. Avec ses petites moustaches « poil de carotte », ses lunettes d'écaille, sa tête carrée, on eut dit une véritable caricature, un de ces boches comme on en voyait jadis dans les jeux de massacre.
Il ne parlait aux notables de Pagny, de Vandières et des villages voisins que le revolver à la main et en les menaçant constamment de les faire fusiller. M. l'abbé Jules-Pierre Mamias, qui devait être sa victime,
était né à Jarny le 23 septembre 1866. Successivement professeur, puis économe au petit séminaire de Pont-à-Mousson, il devint aumônier du couvent de la Nativité, puis fut nommé en 1907 curé de Vandières. M. l'abbé Mamias, qui resta pendant douze ans à Pont-à-Mousson, était très connu dans cette ville. Ses fonctions d'économe du petit séminaire le mettaient d'ailleurs en relations avec de nombreux commerçants. C'était un prêtre renommé pour sa vive intelligence.
Le 30 août 1914, les Allemands occupèrent le village de Vandières. Aussitôt, le maire, M. Pinot, le curé Mamias et quatre notables furent appelés à Pagny. Un capitaine leur fit savoir qu'ils seraient gardés comme otages pendant 24 heures pour être ensuite remplacés par d'autres, et que le maire et le curé rentreraient à Vandières pour y maintenir l'ordre. A chaque échange d'otages, il y avait des difficultés. Pour les aplanir, M. le curé Mamias se rendit à Pagny et vit pour la première fois, le 2 septembre, le major Von Kayser. Il lui affirma que la population de sa paroisse était pacifique et il se porta garant qu'il n'y aurait aucune agression. Bref, il parvint à obtenir la suppression des otages. Le 3 septembre, le major le fit appeler à Pagny. Dans son journal qu'il tenait au jour le jour, M. l’abbé Mamias faisant allusion à cette entrevue écrivit ; « Il s'agissait simplement de me faire parler, sans doute pour m'étudier et s'assurer que j'avais dit vrai la veille. »
Appréciant le major Von Kayser, il le jugeait avec la plus grande perspicacité ; « Un homme dont on peut tout espérer et dont on peut tout craindre, capable de générosité et capable aussi des plus cruelles atrocités. »
Von Kayser poussa l'hypocrisie jusqu'à inviter l'abbé Mamias à venir chez lui le 4 septembre avec le révérend-père Deibler, qui administrait la cure de Pagny. Les désirs de von Kayser étant des ordres, l’abbé Mamias dut s'y conformer à contre-coeur.
Von Kayser fit le bel esprit, joua au galant homme et l'entretien terminé, il déclara dans son entourage que l'abbé Mamias était dangereux et qu'il fallait songer a s’en débarrasser. « Cet homme est trop fin, disait-il, que pour être curé d'un petit village comme Vandières. Il y a du louche là-dessous. Il a été placé là par son gouvernement pour faire de l'espionnage »
Ce Von Kayser voyait des espions partout. Chaque fois que l'artillerie française plaçait quelques obus sur la gare de Vandieres, il s'écriait que des habitants faisaient des signaux ou possédaient des téléphones dissimulés dans leurs caves. Quand les convois allemands passaient sur la route de Villers-sous-Prény, ils étaient aperçus de Mousson et nos observateurs les signalaient à l'artillerie, qui tirait aussitôt. Von Kayser prétendait que pour tirer avec autant d'à-propos, les artilleurs français étaient guidés par un téléphone secret.
Le 25 septembre, des projectiles ayant atteint l'ambulance de Vandières, von Kayser donna libre cours à sa fureur. Il fit arrêter le maire, M. Pinot, chez qui on perquisitionna, puis on le remit en liberté. A la suite d'un long conciliabule avec un capitaine allemand, Von Kayser fit emmener, le 28 septembre, à Pagny, l'abbé Mamias et quatre autres habitants ; M. François Durand, M. Fayon, cultivateur; MM Eugène Poussardin, 20 ans, et Marcel Périllat, 19 ans, garçons de ferme.
Ils passèrent la nuit dans une salle du patronage, gardés par des soldats, baïonnette au canon.
Le lendemain matin, c est-à-dire le mardi 29 septembre, on les fit monter en charrette.
On les vit passer à Arnaville, encadrés par des soldats. M. l'abbé Mamias lisait son bréviaire.
Où allez-vous ? lui cria un habitant qui le connaissait. Il fit comprendre par gestes qu’il n’en savait rien.
A un kilomètre, la voiture s'arrêta. Les otages firent à pied quelques centaines de mètres et arrivèrent ainsi près du peloton qui avait été commandé pour l'exécution.
Que se passa-t-il alors ? Les Allemands avaient éloigné des champs environnants les quelques travailleurs agricoles qui s'y trouvaient. Seul, un enfant grimpé sur un arbre pour y cueillir des fruits fut le témoin caché et terrorisé de ce drame.
Les garçons de culture voyant qu'on allait les fusiller esquissèrent une courte résistance. Ce fut une véritable tuerie. Les Allemands tirèrent aussitôt sans bander les yeux de leurs prisonniers, sans attacher ceux-ci a un poteau.
M. l'abbé Mamias fut achevé à coups de crosse et à coups de pied. Quand on l'exhuma on constata en effet que son crâne était fracassé et ses membres brisés. Les soldats du peloton d'exécution creusèrent une grande fosse. Une colonne d'artillerie étant survenue, ils se cachèrent, puis, restés seuls, ils achevèrent leur sinistre besogne. Le lendemain, des enfants d'Arnaville trouvèrent la tombe toute fraîche, et ils ramassèrent des images ensanglantées tombées du bréviaire de M. Mamias.
Von Kayser, à qui incombe la responsabilité de ce crime, ainsi que l'a établi M. Fressard, commissaire de police mobile, au cours de son enquête, devait comparaître devant la cour de Leipzig.
Très inquiet, il avait même écrit à Pagny-sur-Moselle pour retrouver des prisonniers de guerre français dont il se flattait d’avoir adouci la captivité.
Avait-il des jours de férocité et des jours de clémence ?
La France ayant retiré ses dossiers a Leipzig en présence de la partialité révoltante des juges allemands, les crimes de von Kayser ont, dans ces conditions , été soumis au conseil de guerre de Nancy.
Le féroce soudard accueillera certainement avec un ironique sourire la nouvelle de la condamnation prononcée contre lui. Etant en Allemagne à l'abri de tout châtiment corporel il lui importe sans doute peu d'être flétri devant l'histoire et devant l'humanité.
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