17/10/2025

Inauguration du monument aux victimes de la catastrophe de Blénod-les-Pont-à-Mousson.

Fonderies de Pont à Mousson

L’éclair de l’Est du 9 mai 1927
Pont-à-Mousson 8 mai de notre correspondant particulier :
Aujourd’hui a eu lieu à Blénod-les-Pont-à-Mousson, l’inauguration du monument qu’un comité spécialement formé à cet effet a fait ériger au cimetière de cette localité, en mémoire des malheureuses victimes de la catastrophe des fours à coke.
Ce terrible accident est encore présent à tous les esprits : c’était le 22 décembre dernier, quelques minutes avant midi, alors que de nombreux ouvriers étaient occupés à la construction d’un silo à charbon destiné au four à coke. Celui-ci s’effondra subitement, en se laissant sous les décombres plus de 20 ouvriers. Le douloureux bilan : huit morts, 12 blessés. Parmi les premiers, six ouvriers italien de l’entreprise tombaient au champ d’honneur du travail, aux côtés de deux malheureux de nos compatriotes Maury Pierre, de Lesmésnil, Thiébaut Émile, de Vandières.
Nous en rappelons la liste funèbre :
Pesenti Giuseppe, né le 4 octobre 1878 à Caravagnio.
Zabotti Antonio, né le 8 mai 1900 à Bléda-Di-Piave. Célibataire.  
Pazzini Egidio, né le 8 octobre 1902 à Valbrona. Célibataire. 
Pinosa Giacomo, né le 29 avril 1883 à Lusevera. Marié père d’un enfant. 
Muzollon Léon, né le 1er août 1896 à Aldéno. Célibataire. 
Cominelli Bernard, né le 25 janvier 1874 à Cirette. Marié père de deux enfants. 
Ils demeuraient à Blénod pour la plupart.
Bientôt, une louable idée germa dans le cœur de ceux qui placent au plus haut point la reconnaissance et l’immortalité du suprême devoir. Des membres de la colonie italienne, nombreuse dans cette ruche ouvrière, manifestèrent le désir d’élever un monument à leur camarades disparus. Bientôt un comité se forma, à la tête duquel fut placé M. Onguari.
La municipalité de Blénod, dont il faut féliciter le geste, facilita la tâche en autorisant la construction du monument dans le cimetière communal, lieu si parfaitement choisi pour la réalisation d’une telle œuvre.
Aujourd’hui, alors que les drapeaux flottent au vent pour honorer l’héroïne Lorraine, il semble que c’est bien là le moment pour accomplir la mission finale : inaugurer et bénir le monument, et après un salut suprême aux victimes en donner la garde à ceux qui, aujourd’hui, demain et toujours, auront la charge des destinées de la petite cité.
Après la célébration de la messe paroissiale, où se sont réunis, dans un même sentiment religieux, respectueux et patriotique, autorités et population, un cortège se forme à 11h, sur la place de l’église. Y prennent part M. Ville, conseiller de préfecture, délégué par M. le préfet de Meurthe-et-Moselle, M. le consul général d’Italie à Nancy, MM. Pierson, maire et Henri, adjoint de Blénod, les membres du conseil municipal, MM. Mouchette, directeur des fonderies, Marin commissaire spécial, Denis, conseiller municipal de Pont-à-Mousson, délégué par la municipalité, Monsieur Gosset, directeur de l’entreprise, M. Onguari, président du comité d’érection, les familles des victimes, leurs camarades rescapés de la catastrophe, etc…
L’union musicale italienne de Nancy, ce sont ensuite le sport mussipontain, plusieurs hommes et jeunes gens porteurs de cinq gerbes superbes. Puis les autorités, suivies par une foule nombreuse et recueillie. Le vénérable curé de la paroisse, M. l’abbé Bertrand, qui a rendu, au cours de la cérémonie, un hommage aux victimes et manifesté ses sentiments à l’égard des familles éprouvées, prends place dans le cortège afin d’ apporter la suprême consolation à tous ceux qui ont souffert et béni ceux qui ne sont plus. Le cortège se met en marche, mais presque aussitôt il s’arrête. Un salut fraternel et un hommage de reconnaissance va être rendu aux enfants de Blénod, aux héros de la grande guerre, eux aussi victimes du devoir. Le monument apparaît, où sur son piédestal, le poilu héroïque s’apprête à lancer sa grenade.
Un jeune homme de Blénod, soldat de demain, dépose une gerbe en reconnaissance à ses aînés. La sonnerie "aux champs" retentit et, au son d’une marche funèbre, le cortège arrive au cimetière et fait face au monument. Celui-ci est recouvert d’un grand drapeau aux couleurs nationales italiennes, qui tombera bientôt pour laisser apparaître dans sa touchante simplicité le monument de granit sur lequel on peut lire ces mots : "À nos frères de travail victimes de l’accident des fours à coke. 22 décembre 1926. Les rescapés", et gravé en lettres d’or sur une plaque de marbre les noms des huit malheureuses victimes que nous avons cité plus haut.
Après la bénédiction, donnée par Monsieur le curé de Blénod, M. Onguari en quelques mots, adressa l’expression de sa reconnaissance à tous ceux qui, de près ou de loin, ont contribué à l’érection de ce modeste monument. Il remercie en particulier M. ville, M. le consul général d’Italie, M. le curé de Blénod ainsi que la municipalité, pour l’empressement qu’ils ont apporté si généreusement en cette circonstance.
Il salue les familles de ceux que l’on honore aujourd’hui est, s’excusant de rappeler le souvenir douloureux, ils leur manifeste, au nom de tous, les condoléances émues et attristées. M. Onguari termine en adressant aux morts le suprême adieu.
Traduction est donnée en langue italienne des impressionnantes paroles qui viennent d’être prononcées. Puis M. Onguari remets le monument à la commune de Blénod.
M. Pierson, maire de Blénod, salue les victimes du devoir et glorifie leur mort au travail. Il loue la fraternité qui unit deux peuples et dont l’expression se manifeste davantage encore dans un tel jour de deuil.
M. le consul général d’Italie, parlant dans sa langue nationale, tient lui aussi à adresser l’hommage du gouvernement italien à tous ceux qui ont pris part à cette manifestation et qui, par leur dévouement, ont contribué à l’érection de ce monument.
La marseillaise retentit, suivi de "fermez le ban" et la foule compacte, se retire respectueuse et profondément impressionnée.
À l’issue de cette cérémonie, un vin d’honneur fut servi au café du centre par les soins du comité du monument.



L’accident semble avoir été causé par un étais fait de poutres de bois qui a cédé entraînant la chute du coffrage et de la poutre principale où devait être coulé du béton. 

Émile François Thiébaut est né le 19 février 1893 à Vandières. Il est l’aîné des huit enfants de Pierre Thiébaut (1861-1926), originaire de Vittonville et de Marie Marguerite Padroutte, née à Vandières (1869-1929). 
Ils se sont mariés en juin 1890 à Vandières et s’installent rue Magot (rue Saint Jean). 

Après une scolarité sur les bancs de la nouvelle école de Vandières, il devient maçon. 
En novembre 1913, il rejoint le 169ème régiment d’infanterie à Toul pour effectuer son service militaire. 
Dès l’entrée en guerre, Il participe à de nombreux combats avec ce régiment des loups du Bois le Prêtre.  
Il est blessé une première fois à la main le 27 décembre 1916 aux carrières d’Haudromont (Meuse), puis une seconde fois par balle le 17/08/1918 à Autrèches (Oise)

Cité à l’ordre du régiment le 10 août 1915 : 
"Agent de liaison, a fait preuve d’un dévouement absolu et prolongé en assurant la liaison de sa section à tous les combats du Bois le Prêtre"

Cité à l’ordre de la brigade le 16/10/1917 :
"Agent de liaison, modèle de bravoure et de sang froid , a assuré la liaison le 7 septembre 1917. Le 14 septembre 1917, chargé de transmettre un message à son chef de bataillon, a donné le plus bel exemple de courage en traversant sous un tir de barrage intense et un feu nourri de mitrailleuses. 
Il est décoré de la Croix de guerre. 

De retour du front avec une pension d’invalidité, il se marie à Vandières le 2 août 1924 avec Marie Marguerite Henry. Elle est divorcée depuis 1911 de Firmin Joseph Barbonnait, cafetier rue de la gare. 
Le couple continue l’exploitation du café. 

Émile François est mort lors de ce terrible accident à Blénod les Pont-à-Mousson le 22 décembre 1926 à l’âge de 33 ans. 
Marie Marguerite meurt à Vandières le 13 juin 1935 à l’âge de 60 ans. 

11/10/2025

Écrasé par un tombereau


Le progrès de l’est du 24 juillet 1895.

Vandières. Écrasé par un tombereau.

Un domestique au service de Monsieur Velfringer, nommé Auguste Duroc, âgé de 40 ans, originaire de Pouxeux (Vosges), conduisait un tombereau sur lequel il était assis en compagnie de monsieur Mougenez madame Mougenez et leur petit garçon.
Trouvant trop lente l’allure du cheval, Duroc lui administra un coup de fouet. L’animal, jeune et vigoureux, s’emballa. Duroc sauta à terre, mais, en voulant le maîtriser, il tombe sous les roues du tombereau qui lui brisèrent la colonne vertébrale. 
On transporta le blessé chez Monsieur Velfringer, mais il expira 25 minutes après.


"L’an mille huit cent quatre vingt quinze , le 20 juillet, à quatre heures du soir, par devant nous Dominique Marie Octave Belin maire et officier de l’État civil de la commune de Vandières, arrondissement de Nancy, département de Meurthe-et-Moselle, ont comparu à la mairie Pierre Velfringer âgé de quarante sept ans, cultivateur. et Nicolas Alexandre Charles Munier, âgé de cinquante un ans, appariteur, tous deux domiciliés à Vandières et non parents au défunt dénommé ci-après, lesquels nous ont déclaré que Francois Auguste Duroc, âgé de trente neuf ans, né à Pouxeux (Vosges), domestique domicilié à Vandières, fils de défunt Francois Auguste Duroc et de Marie Catherine Gérard, sa veuve, Manouvrière domiciliée à Pouxeux, époux de inconnu, est décédé cejourd’hui à deux heures du soir, en son domicile.
Et après nous être assurés du décès, nous avons dressé le présent acte sur les deux registres à ce destinés que les déclarant ont signé avec nous après lecture et collation faites.
Signé : Belin, Velfringer, Munier"

François Auguste Duroc est né le 20 janvier 1856 à Pouxeux ( Vosges). 
Il est le fils de François Auguste Duroc (décédé le 23 décembre 1875 à Pouxeux) et de Marie Catherine Gérard. 
Il se marie dans le village de sa naissance le 17 août 1878 avec Marie Adèle Lapoirie. Elle a 21 ans et exerce le métier d’ouvrière de fabrique. 
François Auguste reconnaît deux enfants de sa femme lors de ce mariage. 
Le couple a deux enfants supplémentaires, Joséphine née en 1884 et Augustine Adèle née en 1886.

Pierre Velfringer, propriétaire cultivateur, habite rue Saint Pierre et Raugraff avec son épouse et ses six enfants. 

Louis Fernand Mougenez, Marie Eugénie Forter son épouse et leurs cinq enfants habitent à quelques pas dans le même rue.








04/10/2025

Probité

 

Caserne des douanes à Chambley


Le progrès de l’est du 9 décembre 1885. 

Le jeune Jules Schalbart, de Vandières, qui suit les cours de Monsieur JeanPierre, instituteur à Pont-à-Mousson, à trouver samedi dernier, sur la place Duroc de Pont-à-Mousson, un porte-monnaie contenant 15,60 Fr.. Ce jeune garçon est allé spontanément et immédiatement le porter au commissaire de police de la ville. Il est âgé de 11 ans.


Jules Pierre Schalbart est né le 17 février 1875 à Chambley où son père, Pierre est préposé aux douanes. 
Pierre Schalbart est né en 1844 à Roussy-le-Village en Moselle. Il choisit la nationalité française en 1872 et s’installe à Pont-à-Mousson. 
Il s’y marie l’année suivante avec Marie Anne Lironville. Elle est née à Pont-à-Mousson le 4 août 1846. 
En 1885, Marie Anne Lironville habite avec son fils rue de Pagny à Vandières.
Jean Baptiste Lironville son père, veuf depuis 1870, habite avec eux. 

Pierre Schalbart est absent du domicile conjugal pour une raison très inhabituelle. 
Par jugement en date du 11 décembre 1895, le tribunal de première instance de Nancy a ordonné une enquête à l’effet de constater l’absence d’une nommé Pierre Chalbart, époux de Anne-Marie Lironville, autrefois ouvrier d’usine à Pont-à-Mousson, lequel a quitté cette ville en 1882, se rendant en Amérique, où il s’installait d’abord à providence (état de Rhode Island) , qu’il quitta en 1884 pour se rendre à Panama. 
Schalbart n’a plus donné de ses nouvelles depuis juin 1884, et depuis cette époque on n’a pu découvrir le lieu de sa résidence.

Jules Pierre Schalbart deviens ingénieur et habitera Paris. 
Il meurt au Perreux-sur-Marne en 1953. 

29/09/2025

Les martyrs de Vandières 6 - Inauguration du monument


Le télégramme des Vosges du 13 octobre 1930. 

M.  Louis Marin  préside une émouvante cérémonie à Bayonville.
L’inauguration du monument élevé à la mémoire de M. l’abbé Mamias et des cinq habitants de Vandières et de Villers-sous-Prény que les Allemands fusillèrent en 1914. 

Aujourd’hui 12 octobre a eu lieu, à Bayonville, sous la présidence de M. Louis Marin, ancien ministre, député de Nancy, l’inauguration d’un monument élevé à la mémoire des six victimes civiles de Vandières et Villers-sous-Prény, sauvagement fusillées et massacrées par les Allemands le 29 septembre 1914, sur la route de Bayonville à Arnaville. 
Un temps gris et une pluie line et persistante semblaient s’être mis à l’unisson des cœurs étreints d’une douloureuse émotion à l’évocation du drame atroce qui se déroula, il y a seize ans, dans cette riante et paisible vallée du Rapt de Mad, sous un boqueteau de peupliers, formaient une auréole de gloire à la simple stèle. 
La cérémonie religieuse.  
A 10 heures, dans l’église  bondée de fidèles, M. l’abbé Georgin, parent de M. l’abbé Mamias, curé de Vandières, qui fut une des victimes de cette criminelle tragédie, célébra une messe de Requiem. 
II était assisté de M. le chanoine Sêgault, aumônier de la Visitation, ancien professeur au petit séminaire de 
Pont-a-Mousson, et collègue de l’abbé Mamias, et du Révérend père Jacques, missionnaire en Indo-Chine. 
Aux premiers rangs de l’assistance, nous avons noté la présence de MM. Louis Marin ; Lemoine, maire de 
Bayonville, entouré de son conseil municipal ; Quenette, maire de Vandières, et les conseillers de cette commune ; Grandcolas, conseiller d’arrondissement du canton de Thiaucourt : Lanno, conseiller d’arrondissement, du canton de Pont-à-Mousson ; Moitrier, ancien maire de Bayonville pendant la guerre ; Léquy, maire de Bouillonville, et Heymonnet, adjoint au maire de Villers-sous-Prény.  
Cérémonie profondément émouvante dans sa simplicité ; la messe se déroula au milieu de l’émotion générale, accentuée par la beauté des chants liturgiques, qu’exécuta à plusieurs, voix la chorale des jeunes filles, de Bayonville, sous la direction de M. l'abbé Noblemaire, curé de la paroisse, grand mutilé de guerre. 
Le sermon 
Le  sermon fut prononcé par M. le chanoine Ségault. Avec, une émotion que partageaient tous ceux qui, dans la petite église, étaient venus prier pour les martyrs de la tragique journée de septembre 1914, M. l'abbé Ségault retraça le calvaire des six malheureuses victimes. 
Le 29 septembre 1915, sur la route d’Arnaville à Bayonville, s’avançait une charrette paysanne, escortée de soldats allemands. Sur cette charrette  se trouvaient six hommes : l’abbé Mamias, curé de Vandières, deux hommes d’âge mûr, M. Durand et M. Fayon ; trois jeunes  gens, dont l’un avait à peine quinze ans. 
Arrivés la veille au soir, ils avaient passé la nuit dans une salle de patronage à Pagny-sur-Moselle. 
Que se passa-t-il pendant cette nuit ? Nul ne le sait. Ce qui est certain, c’est que les prisonniers ne furent pas traduits devant un conseil de guerre. 
Nuit sinistre, interminable, où les captifs ne pouvaient dormir, mais voyaient passer dans les ombres, glissant sur les murs... des visions d’épouvante ! Pourtant à ces malheureux la providence avait ménagé une consolation et un réconfort dans la présence d’un prêtre. Nous savons que l’abbé Mamias demanda un banc pour ses compagnons et que lui-même se promena de long en large, en égrenant son chapelet. Nous pouvons supposer que, pendant les longues heures d'insomnie,  le prêtre  sut tirer de son cœur des paroles assez tendres et assez fortes pour encourager ses compagnons, les préparer aux pires extrémités, et faire descendre en eux le pardon divin qui ouvre le ciel. 
Ils pouvaient donc être prêts à toute épreuve. De fait, en traversant Arnaville, à cette question qui lui était posée : « Où allez vous donc ? ». l’abbé Mamies répondit, en  levant les mains au ciel  « Dieu seul le sait ! » 
Calme et recueilli, le prêtre priait avec son bréviaire, comme il l’eût fait dans sa stalle à l'église. 
A quelque distance d’Arnaville, la voiture s’arrêta. Les prisonniers durent faire à pied quelques centaines 
de mètres. Personne sur ta route ni dans les environs, car les allemands avaient écarté tout témoin. Tout à coup, ils se trouvèrent en présence d’un détachement en armes. A cette vue, ils comprirent que c’était la mort sous les balles. 
Les enfants, qui n’avaient pas vingt ans, se débattirent contre le sort cruel et tentèrent de fuir. Empoignés et garrottés, ils n’eurent plus que leurs cris perçants pour exprimer leur douleur. Et si les échos de vos collines ne redisent plus cette plainte, soyez sûrs que dans la mémoire des bourreaux, ce cri retentit toujours, tandis qu’apparaissent les faces  convulsées de ces enfants et leurs jeunes corps étendus dans une mare de sang. 
Que se passa-t-il encore ! Nous ne le savons pas. Sans doute le prêtre donna une dernière absolution, embrassa ses compagnons, et offrit le sacrifice de sa vie pour sa paroisse et pour la France. Alla-t-il plus loin ? Protesta-t-il de  l’innocence de ses compagnons et, en faisant appel à la justice divine, donna-t-il à ces officiers allemands un solennel avertissement ?
C’est possible, peut-être même est-ce probable, car l’abbé Mamias tomba le premier et fut achevé à coups de crosse et à coups de pied. Quand on déterra les cadavres, ont trouva son crâne fracassé et ses membres brisés, tandis que les corps de ses compagnons étaient intacts. 

Les soldats creusèrent une fosse pour enfouir ces cadavres. Surpris par le passage d’une troupe d'artillerie, ils se cachèrent, honteux de leur travail. Restés seuls, ils achevèrent leur sinistre besogne.  

Pendant quatre ans, la terre qui recouvrait ces morts garda son secret. Mais des images pieuses échappées du bréviaire de M. Mamias et tachées de sang, le témoignage d’un jeune homme qui, caché dans un arbre, avait suivi de loin, ce drame sanglant, les aveux d’officiers allemands, attristés et indignés de ce massacre inutile, vinrent porter jusqu’en France et jusqu’aux extrémités du monde la nouvelle de ce forfait allemand. 

Forfait abominable, ajouté à tant d’autres, commis en Lorraine, en France, en Belgique ! Rien que dans notre département, treize prêtres fusillés, quarante civils tués à Gerbéviller, quatre-vingts civils brûlés ou égorgés à Nomeny. Ici, le crime était encore plu évident. Ce n’est pas dans la fureur de la bataille, que ces innocents ont été massacrés, c’est après une décision froidement méditée, prise sans enquête, sans jugement. Crime stupide et insensé qui mêlait dans la même tuerie des jeunes gens et des hommes âgés. 
Crime deux fois sacrilège qui osait fusiller un prêtre et piétiner son front et ses mains consacrées par l’onction sainte ! 
Faut il accuser de ce crime le major Von Kayser, qui, un mois auparavant, faisait déjà fusiller, à Jarny un prêtre d’une haute intelligence et d’une magnifique culture littéraire et scientifique, l’abbé Vouaux, agrégé de l’université et professeur de rhétorique au collège de la Malgrange ? Faut il l’imputer au grand état-major allemand, qui avait donné l’ordre de terroriser les populations et de rendre la guerre plus violente, afin qu’elle fut plus courte ? Peu importe. Ce crime pèse sur toute l’Allemagne et, si les coupables ont pu échapper à la justice humaine et se dérober aux sanctions prévues par le traité de Versailles, il n’échapperont pas à la justice divine.  Dieu qui a vengé Abel saura venger nos martyrs. 
M. le chanoine Ségault montre ensuite quelle grande leçon nous ont donnée ces héros avant de mourir. Leçon de courage, d’union et de foi chrétienne. « Nous nous souviendrons de cette histoire, dit-il encore, et nous profiterons de ces nobles exemples. Nous continuerons le patriotisme de ces Français et les vertus de ces Lorrains.
Après ce sermon qui a touché aux larmes tous les assistants, M. le chanoines Ségault donne l’absoute. 

La cérémonie d’inauguration.  
A midi, un déjeuner fut servi, sous la présidence de M. Louis Marin, au café du Château. 
Un cortège se forma ensuite devant la mairie, pour se rendre jusqu’au monument, situé a quinze cents mètre environ de Bayonville, sur la route d’Arnaville. 
En plus des personnalités déjà citées notons encore la présence de M. le conseiller de préfecture Gourguechon, représentant M. Magie, préfet de Meurthe-et-Moselle, le commandant Durand, représentant le Souvenir Français. M. Humbert, maire d’Arnaville, M. l’abbé Munier, curé de Vandières, une importante délégation des Jeunesse Patriotes de Norroy et des commune environnantes entourant M. de Pomméry, secrétaire général des J.P., ainsi que des délégations d’anciens combattants de Pagny-sur-Moselle, Vandières, Villers-sous-Prény,Bayonville et Arnaville. 
A travers les rues de la commune qui avaient reçu une délicate décoration de drapeaux et de verdure, le cortège se mit en marche ayant à sa tête la compagnie des sapeurs-pompier, sous la direction du sous-lieutenant M. Boucher. 
Lorsque les personnalités officielles arrivèrent devant le monument, un foule imposante venue de tous les villages voisins s’était déjà rassemblée autour de la stèle qui se dresse émouvante dans sa simplicité portent cette inscription : 
A la mémoire des habitants de Vandières et de Villers-sous-Prény, massacrés ici par les allemands le 29 septembre 1916. 

Passant, souviens-toi et médite. 


Là, sous la pluie qui tombe lourde, sous un ciel bas et gris d’automne les divers orateurs vont rappeler en termes émus la mémoire des six victimes de la barbarie allemande : 

MM. l’abbé Mamias, 48 ans, curé de Vandières ; François Durand, 59 ans; Henri Fayon, 64 ans ; Poussardin Eugène, 20 ans ; Péquillat Marcel, 19 ans, tous les cinq de Vandières, et Dozard Georges, 15 ans, de Villers sous-Prény. 


Une Lettre De MGR Jérôme 


M. l’abbé Noblemaire bénit le monument et donne lecture d’une lettre de Mgr Jérôme, vicaire capitulaire de 

Nancy, qui écrit notamment : 

C’est une sainte pensée, que tous ont eue d’élever à ces glorieux morts le monument que vous allez bénir. Je les félicite. Ce monument rappellera des jours douloureux, mais aussi il évoquera en la personne du cher curé d e Vandières, qui fut si cruellement et si odieusement frappé, là, entre Bayonville et Arnaville, à la tête de ses paroissiens, la figure du bon Pasteur qui a donné sa vie pour ses brebis et avec ses brebis. 

J’ai voulu relire les pages si émouvantes que lui consacre notre livre d’or. J'ai voulu, un instant, revivre avec vous ces heures angoissantes des mois d’août et septembre 1914, et gravir à nouveau  à la suite du cher 

curé, le calvaire qui devait le mener à la dernière immolation, au suprême sacrifice. Ce fut le sacrifice, ce fut 

l’immolation du bon pasteur. Bon pasteur, certes, il l’avait été toute sa vie, il le fut surtout, il le fut jusqu’à l’effusion du sang, en ces jours douloureux, partageant les souffrances de ses paroissiens, multipliant les démarches qui pouvaient adoucir leur sort ou écarter les dangers qui les menaçaient, les défendant contre les vexations d’un ennemi pour qui la guerre justifiait toutes les rigueurs et les pires cruautés. Et comment n’être pas ému jusqu’aux larmes à la lecture des dispositions dernières que quelques jours avant sa mort, sous le regard de Dieu, il consignait dans son journal. Le 11 août 1914, à 1’approche des premières menaces, il avait écrit : « Seigneur, s’il faut être victime et si vous me jugez digne de tant d'honneur, je fais 

volontiers le sacrifice de ma vie pour ma chère patrie. C’était le calvaire qui commençait. Il se continua au cours des semaines qui suivirent. Le danger s’aggravait chaque jour. Le bon curé ne se faisait plus guère d’illusion, et, généreusement, il renouvelait son sacrifice : « Sainte Vierge Marie, écrivait-il encore, recevez 

votre prêtre qui vous supplie humblement de lui venir, en aide; bénissez mes paroissiens pour lesquels j’offre 

mes souffrances, ma dernière agonie et ma mort. Le mois de septembre se passe dans l’attente. Le 29, l’immolation était consommée, et vraiment, dans toute la réalité de l’expression, le bon pasteur avait donné sa vie pour son troupeau, et dans des circonstances telles que la seule lecture du récit qui nous retrace ce douloureux martyre fait encore passer dans nos âmes je ne sais quel frémissement d’indignation et d'horreur. 

Oh ! oui. monsieur le curé, une fois encore je remercié avec vous les paroissiens de Vandières et de Bayon- 

ville, d'avoir voulu, par ce monument que leur piété émue élève à la mémoire de ces glorieuses et saintes victimes, rappeler aux générations futures le souvenir de ces jours tragiques, que nous, qui les avons vécus, qui les avons soufferts, ne saurions oublier. 

Certes, ce n’est pas un sentiment de haine qui anime nos cœurs, en ce moment. Nous pardonnons, comme 

Jésus pardonnait sur la Croix ; nous pardonnons, comme pardonnait notre cher abbé Mamias à ceux qui se faisaient ses bourreaux et les bourreaux de ses paroissiens. Nous pardonnons, mais nous ne pouvons pas ne pas nous souvenir. Et nous devons à la mémoire de nos chers morts, à la mémoire des ouailles, à la mémoire tout particulièrement du pasteur. L’hommage de notre affection, de notre reconnaissance, de notre prière. Belle, très belle et très bien remplie avait été la trop courte vie de M. l’abbé Mamias. 

Plus admirable fut sa mort, mort affreuse, mais si chrétiennement acceptée si sacerdotalement offerte pour sa paroisse et pour la France. 


Discours De M. Lemoine, maire de Bayonville 
Il y a seize ans, le 29 septembre 1914, se déroulait ici une des plus horribles tragédies de la grande guerre. 
Six personnes, cinq habitant Vandières, un enfant de Villers-Prény, étaient massacrés sans jugement, par les allemands. Cet endroit un peu sauvage, un peu caché étant bien choisi par les boches pour assassiner ces malheureux. car ce fût un véritable assassinat, qui fut commis sur des êtres innocents et sans défense. Ils ont essayé de les faire disparaître après les avoir horriblement mutilés, et ces martyrs ont eu une agonie effrayante. 
Malgré leurs précautions, quelques témoins ont assisté à ce drame. Quelques jeunes gens de Bayonville qui 
cueillaient des fruits ont entendu, derrière ces saules, les cris des jeunes gens (trois n’avaient pas 20 ans) demandant grâce, implorant la pitié de leur bourreaux, mais ce fut en vain. On chercherait en vain un motif même futile qui put expliquer cet horrible forfait. 
L’abbé Mamias, prêtre de haute valeur, ne pouvait que gêner par sa présence, par sa franchise, l’exaction, les vols que les officiers allemands s'apprêtaient à commettre dans le village de Vandières. 
Fayon, Durand, propriétaires bien tranquilles, vivaient la vie laborieuse et calme de nos villages et ne pouvaient être aucune menace pour l’armée ennemie. Que dire des malheureux enfants Poussardin, Péquillat, pupilles de l’Assistance publique, ne connaissant pas les douceurs de la vie de famille et pourtant heureux de vivre, car à 20 ans, la vie paraît belle. Dozart, âgé de 15 ans, entrant à peine dans la vie et déjà appelé à tomber victime de la barbarie allemande. Cela paraît tellement hors de nature que l'on se serait cru reporté à 1500 ans en arrière, alors que les Huns envahissaient notre pays, brûlant les villages et massacrant sans pitié les habitants La même horde inique, venue de moins loin, mais aussi du Levant, a envahi notre France, voulant l’exterminer et la vaincre par la terreur. 
Le reitre allemand Von Kayser, qui a ordonne ce lâche assassinat et le massacre de Jarny, véritable descendant d’Attila, croyait sans doute faire trembler les habitants de nos pauvres villages envahis. Mais il ne connaissait guère le courage indomptable des Lorrains, peuple prédestiné, qui a subi de tout temps l'assaut des invasions barbares. Sous le joug allemand et la terreur, ils ont peut-être courbé le front mais ils gardaient au cœur l'espérance de la victoire. Ils ont accepté la tristesse de l’occupation, les souffrances, la déportation même, avec toujours le même foi vive dans la destinée du pays. Bayonville sans doute a frémi d’inquiétude et pleuré amèrement quand de malheureuses petites victimes civiles sont venues s’ajouter à celles dont nous honorons aujourd'hui la mémoire, mais son attitude et son courage ont été dignes devant l’ennemi. Cette grande vertu de confiance et de courage nous est toujours nécessaire, alors que le vent d’est nous apporte parfois le cliquetis alarmant des casques d’acier. Souvenons-nous toujours de nos chers disparus, gardons leur exemple et soyons persuadés que leur sacrifice n’a pas été inutile, car il nous a délivré du joug des barbares. » 


M. Quenette, maire de Vandières, apporte à son tour son hommage et celui des habitants de sa commune à la mémoire de leurs malheureux concitoyens tombés victimes de la barbarie allemande. 

Il remercie M. Lemoine, maire de Bayonville, à qui est due l’initiative du monument qu’on inaugure aujourd’hui. Il remercie M. Marin qui a bien voulu par sa présence; rehausser l’éclat de cette cérémonie, et affirme que la population de Vandières entretiendra et vénérera le monument, qui lui servira de symbole pour inculquer à ses enfants le culte du souvenir. 


M. Moissette s’incline au nom des anciens combattants de Pagny-Vandières  devant la souvenir de ceux qui furent d’innocentes victimes. 


Puis M. Lanno et M. Grandcolas , conseillers d'arrondissement des cantons de Pont-à-Mousson et de Thiaucourt saluent respectueusement les victimes de l’attentat dont on commémore le douloureux souvenir. 


M. le commandant Durand, remplaçant M. le colonel Hareng au nom du Souvenir Français, s'incline devant le monument  et affirme que le souvenir des héros tombés là restera vivant dans le cœur de toutes les populations lorraine et française. 


Attentivement, on pourrait presque dire religieusement écouté par cette foule qui participé vraiment de toute son âme à la cérémonie, M. Louis Marin montre quel réconfort apportent ces manifestations du souvenir. Les parents et amis des victimes peuvent se dire que quand celles-ci sont tombées c’est à eux qu’allait leur pensée. 

L'endroit où ces victimes ont été frappées est désormais sacré. Là où le sang des martyrs a coulé, leur âme revient pour insuffler sa foi aux vivants. Si elle revient, l’âme des martyrs dont on commémore le sacrifice, pourra se dire que leur immolation n’a pas été inutile, qu’elle a servi le pays. 

Quand on connaîtra dans le monde entier, car on ne les connaît pas encore, tous ces innombrables massacres qui se sont passés dans les pays envahis, quand on les connaîtra bien, la guerre paraîtra encore plus repoussante. 

On a parlé de « crimes soldatesques » ; c’est inexact. Partout les armées allemandes opérèrent de la même façon. C'était l'Invasion s’accompagnant de la terreur systématiquement organisée pour affaiblir le moral de la population. Tous les principes furent piétinés, on ne respecta même pas les signatures données quelques années avant la guerre, à La Haye, l’Allemagne prenait les engagements les plus formels ; qu’en a-t-elle fait ? Qu’a-t-elle fait des traités considérés par elle comme des chiffons de papier ?
M. Louis Marin montre quelle gravité représente pour l’avenir, cette démonstration que les traités les plus solennels peuvent être impunément violés. 
Si nous voulons que des événements comme ceux-ci ne se reproduisent plus, il faut en entretenir le souvenir dans la mémoire des vivants. Il faut que des monuments comme celui-ci s’élèvent le long des routes pour que, toujours, on se rappelle ceux qui ont vu les choses dans leur horreur et qui en ont souffert. 
En Lorraine plus qu’ailleurs, nous devons nous en souvenir. La France peut quelquefois s’endormir, la Lorraine doit veiller, car elle est à juste titre, considérée comme le symbole de la fidélité à la patrie comme elle symbolise si justement la fidélité au souvenir des morts. 
M. le conseiller de préfecture Gourguechon, en l’absence de M. le prélat empêché, parle ensuite et dit son 
admiration pour les martyrs dont le souvenir doit toujours être présent à notre mémoire, et qui doivent nous servir d’exemple continuel de dévouement à la Patrie. 
Cette touchante et triste cérémonie prend fin après que M. Fayon, fils d’une des victimes a adressé ses remerciements émus à tous ceux qui ont permis par leurs efforts, l’érection de ce monument qui entretiendra le culte du souvenir chez tous ceux qui ont survécu à la guerre et dans les générations futures. 



Les martyrs de Vandières 5 - Une curieuse lettre

L’est républicain du 26 juin 1920. 

Von Keyser Le soudard de Vandières ouvrira le défilé des coupables.
Avant le Procès de Leipzig.  Comment il prépare sa défense.  Une curieuse lettre 

Bientôt les coupables allemands comparaîtront devant la cour de Leipzig. Le commandant major von Keyser, du 65ème d'infanterie, ouvrira le défilé. C'est lui qui, dans les premiers mois de la guerre, terrorisa les populations de Jarny, Pagny-sur-Moselle, Vandières, Norroy, Vilcey-sur-Mad, etc... 
On lui reproche notamment les massacres de Jarny, au cours desquels le maire, le curé et de nombreux habitants furent fusillés sans motif, il serait responsable également de la mort de six personnes de Vandières, dont M. le curé Mamias. 
Depuis septembre 1914, von Keyser avait disparu de cette région pour la plus grande joie des habitants. 
On n'avait plus entendu parler de lui. Aussi une personne de Pagny, une Française dont l'attitude fut admirable pendant la guerre, a-t-elle été assez surprise de recevoir du soudard allemand une longue lettre. Elle avait été obligée de le loger pendant les quelques semaines qu'il passa en septembre 1914 à Pagny-sur-Moselle et c’est à ce titre, qu'il lui a écrit. 
Von Keyser, en proie aux noirs soucis de son prochain procès, recherche des témoins qui pourront rapporter à son actif quelques traits d'humanité qu'il veut monter en épingle. 
Il avait, paraît-il, des jours de férocité , et des jours de clémence, il ne se souvient plus que de ces derniers et il en est volontiers vaniteux. Il se glorifie notamment d'avoir eu quelques égards pour un médecin français qui était prisonnier et dont il recherche l'adresse. Il en profite pour se représenter comme un humanitaire méconnu. 
Il dit notamment dans cette lettre qui provoque une douce hilarité à Pagny-sur-Moselle : 
« Vous avez dû lire mon nom dans la liste des soi-disant coupables de la guerre. Pour le moment je ne veux pas en dire plus long sur ces accusations. Comme vous me connaissez et que souvent je vous ai fait part de mon opinion qu'il fallait adoucir la guerre, Vous me rendrez cette justice que vous ne croyez pas à ma culpabilité. Ceci concerne surtout particulièrement le cas du malheureux prêtre Mamias. 
Comme premier qui passera devant le tribunal d'Empire de Leipzig, je porterai ce thème devant la cour. Le verdict, ce qui veut dire l’acquittement, car il viendra du moment que je ne suis pas coupable. Je vous le communiquerai plus tard. » 
Que pense-t-on à Pagny-sur-Moselle du commandant major von Keyser ? Qu'a-t-il fait pour adoucir la guerre, ainsi qu'il s'en félicite au moment de comparaître devant la cour d'Empire ? 
M. Robert, ancien instituteur, qui est resté pendant l'occupation ennemie à la mairie de Pagny, n'a pas besoin de rechercher dans ses souvenirs pour évoquer la silhouette du féroce commandant. 
Personne ici n'oubliera Von Keyser, nous dit-il. De taille moyenne, trapu, il était d'une laideur peu commune. Avec ses petites moustaches « poil de carotte », ses lunettes d'écaillé, sa tête carrée, on eut dit une véritable caricature, un de ces « boches » comme on en voit dans les jeux de massacres. Toujours hurlant, toujours sacrant, il noms fourrait son revolver sons le nez sous le moindre prétexte. 
Avait-il besoin d'une voiture, il bondissait, brandissant son arme en criant « une voiture ou dans cinq minutes vous êtes mort ! » 
Vous comprenez qu'on n'oublie pas fatalement un gaillard qui vous tient de tels propos. 

M. Alfred Brichon confirme cette impression. - Je le vois toujours, nous dit-il, grimaçant devant moi, le revolver à la main, alors qu'il faisait réquisitionner mes chevaux. Pendant près d'une demi-heure il m'a tenu par la gorge comme s'il voulait m'étranger. 

M. Barthélémy, qui remplissait les fonctions de maire à Pagny, a gardé lui aussi le plus fâcheux souvenir de ses relations avec Von Keyser. 

Une figure bestiale. Son aspect ne plaidait pas en sa faveur. Il avait toujours la menace sur les lèvres et le revolver à la main. Que de fois je l'ai entendu me dire : « Monsieur le maire, j'ai fait fusiller les gens de Jarny. Si cela ne va pas mieux ici vous subirez le même sort ». Il nous gardait prisonniers à chaque instant. Ses ordres de réquisition devaient être exécutés en un clin d'oeil. 

Un autre habitant nous conte cette anecdote : 

Au début dès hostilités, M. Husson, alors âgé de près de 80 ans, était maire. Von Keyser le somma un jour de lui procurer en quel-ques minutes 35 kilos de saucisson. M. Husson riposta que ses jambes n'étaient plus assez alertes et qu'il ne pouvait faire la tournée du village. 

Von Keyser entra dans une fureur dont on se souviendra longtemps à Pagny. Parcourant la grande rue en décrivant des vastes cercles avec ses bras il s'écriait, congestionné : 

Mais Monsieur le maire, vous êtes un zéro. Je fous réfoque, je fous réfoque ! un zéro, un triple zéro ! 

M. Husson fut, comme bien on le pense, enchanté de ne plus avoir affaire au terrible major. 

Un autre jour, von Keyser avisant un des notables de Pagny, M. Boudat, qui puisait dans ses convictions religieuses une sérénité imperturbable, lui dit l'air goguenard, le revolver au poing : 

Vous n'avez pas l'air d'avoir peur de moi ! 

M. Boudat, indifférent, répondit : « Je ne crains que Dieu ». 

Von Keyser s'écria que c'était prodigieux de voir un homme comme cela et qu'il en ferait volontiers un préfet, ce qui ne l'empêcha pas d’ailleurs un peu plus tard de braquer son revolver à différentes reprisés vers M, Boudat. 


En quelle mesure von Keyser est-il responsable de la mort des otages de Vandières et notamment de l'abbé Mamias ? Nul ne saurait le préciser à Pagny. On vit vers la fin de septembre l'abbé Mamias et ses malheureux compagnons passer entre des Soldats allemands baïonnette au canon. On les conduisait vers Arnaville où ils furent fusillés sur la route, à la sortie du village. 

Au cours de notre enquête à Pagny, nous avons pu recueillir cependant des détails assez curieux qui projettent un jour singulier sur l'hypocrisie de von Keyser. 


Quelques jours avant la fin tragique de l'abbé Mamias, Von Keyser qui avait entendu parler de l'intelligence et de l’activité du curé de Vandières, le fit venir à Pagny et le retint à dîner. Les désirs de von Keyser étant des ordres, l'abbé Mamias dut s'y conformer à contre-coeur. Von Keyser fit le bel esprit, joua au galant homme devant les quelques personnes présentes et le dîner terminé, déclara dans son entourage que l'abbé Mamias était dangereux et qu'il fallait songer à s'en débarrasser. 

C'est un homme trop fin que pour être Curé d'un petit village comme Vandières, disait-il. Il y a du louche là-dessous. Il a dû être placé exprès à la frontière par son gouvernement !

Von Keyser voyait des espions partout. M. Pinot, qui fut maire dé Vandières pendant la guerre et que nous sommes allé voir, nous dit : « Cet homme avait l'a hantise de l'espionnage. Commandant de la place de Pagny. il était chargé des réquisitions et du service des renseignements dans la région, il allait en automobile jusqu'aux premières lignes de Norroy. Chaque fois que l'artillerie française tirait sur Vandières, il prétendait que l'on faisait des signaux et parlait de me faire fusiller. Dès qu'un obus tombait, il se dressait revolver au poing, hurlant que j'avais un téléphone dans ma cave. 

Lè 26 septembre, des projectiles ayant atteint l'ambulance allemande de Vandières, il me fit conduire chez l'abbé Mamias et nous retint prisonniers. On perquisitionna chez moi. Le lendemain on me remit en liberté, puis on m'arrêta encore pour me relâcher quelques heures après. 

Le commandant von Keyser dirigeait l'enquête qui ne prouva d’ailleurs rien. Les allemands avaient le droit de tirer, mais quand les Français répondaient, Von Keyser se fâchait tout rouge. Enfin, après un dernier conciliabule avec un capitaine d'artillerie, il fit emmener  à Pagny l'abbé Mamias et cinq autres habitants, dont trois garçons de culture âgés de 21, 20 et 15 ans. 

De Pagny, ils furent dirigés Sur Arnaville et c'est à la sortie de cette commune que leur escorte les fusilla. Jamais, ajoute M. Pinot, les allemands n'ont tenté de justifier ce crime. 

Le lendemain je reçus un papier disant que l'abbé Mamias et ses compagnons avaient été exécutés parce qu'ils avaient voulu s'enfuir ce qui était faux. Personne dans le village ne voulait croire à cet acte de sauvagerie. On pensait qu'ils étaient prisonniers. C'est seulement vers 1916 que nous eûmes confirmation de leur mort par des personnes d'Arnaville. 

Et M. Pinot conclut : « Von Keyser est bien mal venu aujourd'hui de vouloir dénier sa responsabilité dans le meurtre de l'abbé Mamias et de ses compagnons. 


C'est lui qui a dirigé le semblant d'enquête et qui a ordonné les arrestations. Il était tout puissant. Il semble d'ailleurs qu'il avait prémédité de se débarrasser de M. l'abbé Mamias. 

En tout cas ses procédés ont toujours été ceux d'un véritable « soudard » vis-à-vis de la population. 

Je parle sans passion, dit encore M. Pinot car je reconnais qu'après Von Keyser nous avons eu parfois des commandants de place qui tout en étant rigoureux étaient cependant corrects. 

La cour de Leipzig avant d'entendre le « thème » de von Keyser, pourra utilement se renseigner près des populations de la région de Pagny. Ce n'est certainement pas les renseignements qu'elle pourra ainsi recueillir qui l'inciteront à rendre le verdict d'acquittement que Von Keyser attend. 


Les martyrs de Vandières 4 - Les décorations

 

Le lorrain du 17 octobre 1923. 

Le gouvernement vient d’honorer trois victimes de Vandières en conférant, à titre posthume, la croix de la Légion d’honneur à M. L’abbé Jules Pierre Mamias, curé de Vandières, à M. Francois Durand, receveur buraliste de cette localité, et à monsieur Henri Fayon, vigneron, lui aussi de Vandières. En compagnie de deux jeunes garçons de 19 ans, les malheureux furent emmenés en septembre 1914 par les Allemands, qui les fusillèrent entre Arnaville et Bayonville, en contrebas du vieux chemin de Novéant. Inhumés sur place, il furent exhumés en 1920 et une croix de bois se voit encore sur le lieu de leur mort tragique, dans l’attente sans doute de la pierre commémorative qu’Arnaville et Vandières devraient bien ériger là. 

Il est permis d’espérer que la mort de leurs deux jeunes compagnons de martyr leur vaudra également quelque jour une manifestation officielle de reconnaissance.




Pierre Jule Mamias né le 23 septembre 1866 à Jarny
François Durand né le 5 octobre 1847 à Vandières
Henri Fayon né le 13 aout 1859 à Vandières
Eugène Gabriel Poussardin né le 17 décembre 1894 à Nancy
Marcel Perillat (date et lieu de naissance inconnus)
Georges Charles Dozard né le 15 mars 1899 à Villers-sous-Prény


Les martyrs de Vandières 3 -Les coupables allemands


L'est républicain du 27 mars 1924.

Comment Von Kayser fit assassiner les otages de Vandières

Le major Von Kayser, du 65ème régiment d'infanterie allemand, que le conseil de guerre de Nancy vient de condamner à mort par contumace, est bien connu dans la région de Pagny-sur-Moselle, où il exerça au début de la guerre les fonctions de commandant d'armes. 


Il incarnait le vrai type du « soudard ». De taille moyenne, trapu, il était d'une laideur peu commune. Avec ses petites moustaches « poil de carotte », ses lunettes d'écaille, sa tête carrée, on eut dit une véritable caricature, un de ces boches comme on en voyait jadis dans les jeux de massacre. 

Il ne parlait aux notables de Pagny, de Vandières et des villages voisins que le revolver à la main et en les menaçant constamment de les faire fusiller. M. l'abbé Jules-Pierre Mamias, qui devait être sa victime, 

était né à Jarny le 23 septembre 1866. Successivement professeur, puis économe au petit séminaire de Pont-à-Mousson, il devint aumônier du couvent de la Nativité, puis fut nommé en 1907 curé de Vandières. M. l'abbé Mamias, qui resta pendant douze ans à Pont-à-Mousson, était très connu dans cette ville. Ses fonctions d'économe du petit séminaire le mettaient d'ailleurs en relations avec de nombreux commerçants. C'était un prêtre renommé pour sa vive intelligence. 


Le 30 août 1914, les Allemands occupèrent le village de Vandières. Aussitôt, le maire, M. Pinot, le curé Mamias et quatre notables furent appelés à Pagny. Un capitaine leur fit savoir qu'ils seraient gardés comme otages pendant 24 heures pour être ensuite remplacés par d'autres, et que le maire et le curé rentreraient à Vandières pour y maintenir l'ordre. A chaque échange d'otages, il y avait des difficultés. Pour les aplanir, M. le curé Mamias se rendit à Pagny et vit pour la première fois, le 2 septembre, le major Von Kayser. Il lui affirma que la population de sa paroisse était pacifique et il se porta garant qu'il n'y aurait aucune agression. Bref, il parvint à obtenir la suppression des otages. Le 3 septembre, le major le fit appeler à Pagny. Dans son journal qu'il tenait au jour le jour, M. l’abbé Mamias faisant allusion à cette entrevue écrivit ; « Il s'agissait simplement de me faire parler, sans doute pour m'étudier et s'assurer que j'avais dit vrai la veille. » 

Appréciant le major Von Kayser, il le jugeait avec la plus grande perspicacité ; « Un homme dont on peut tout espérer et dont on peut tout craindre, capable de générosité et capable aussi des plus cruelles atrocités. » 

Von Kayser poussa l'hypocrisie jusqu'à inviter l'abbé Mamias à venir chez lui le 4 septembre avec le révérend-père Deibler, qui administrait la cure de Pagny. Les désirs de von Kayser étant des ordres, l’abbé Mamias dut s'y conformer à contre-coeur. 

Von Kayser fit le bel esprit, joua au galant homme et l'entretien terminé, il déclara dans son entourage que l'abbé Mamias était dangereux et qu'il fallait songer a s’en débarrasser.  « Cet homme est trop fin, disait-il, que pour être curé d'un petit village comme Vandières. Il y a du louche là-dessous. Il a été placé là par son gouvernement pour faire de l'espionnage » 

Ce Von Kayser voyait des espions partout. Chaque fois que l'artillerie française plaçait quelques obus sur la gare de Vandieres, il s'écriait que des habitants faisaient des signaux ou possédaient des téléphones dissimulés dans leurs caves. Quand les convois allemands passaient sur la route de Villers-sous-Prény, ils étaient aperçus de Mousson et nos observateurs les signalaient à l'artillerie, qui tirait aussitôt. Von Kayser prétendait que pour tirer avec autant d'à-propos, les artilleurs français étaient guidés par un téléphone secret. 

Le 25 septembre, des projectiles ayant atteint l'ambulance de Vandières, von Kayser donna libre cours à sa fureur. Il fit arrêter le maire, M. Pinot, chez qui on perquisitionna, puis on le remit en liberté. A la suite d'un long conciliabule avec un capitaine allemand, Von Kayser fit emmener, le 28 septembre, à Pagny, l'abbé Mamias et quatre autres habitants ; M. François Durand, M. Fayon, cultivateur; MM Eugène Poussardin, 20 ans, et Marcel Périllat, 19 ans, garçons de ferme. 

Ils passèrent la nuit dans une salle du patronage, gardés par des soldats, baïonnette au canon. 

Le lendemain matin, c est-à-dire le mardi 29 septembre, on les fit monter en charrette. 

On les vit passer à Arnaville, encadrés par des soldats. M. l'abbé Mamias lisait son bréviaire. 

Où allez-vous ? lui cria un habitant qui le connaissait. Il fit comprendre par gestes qu’il n’en savait rien.

A un kilomètre, la voiture s'arrêta. Les otages firent à pied quelques centaines de mètres et arrivèrent ainsi près du peloton qui avait été commandé pour l'exécution. 

Que se passa-t-il alors ? Les Allemands avaient éloigné des champs environnants les quelques travailleurs agricoles qui s'y trouvaient. Seul, un enfant grimpé sur un arbre pour y cueillir des fruits fut le témoin caché et terrorisé de ce drame. 

Les garçons de culture voyant qu'on allait les fusiller esquissèrent une courte résistance.  Ce fut une véritable tuerie. Les Allemands tirèrent aussitôt sans bander les yeux de leurs prisonniers, sans attacher ceux-ci a un poteau.  

M. l'abbé Mamias fut achevé à coups de crosse et à coups de pied. Quand on l'exhuma on constata en effet que son crâne était fracassé et ses membres brisés. Les soldats du peloton d'exécution creusèrent une grande fosse. Une colonne d'artillerie étant survenue, ils se cachèrent, puis, restés seuls, ils achevèrent leur sinistre besogne. Le lendemain, des enfants d'Arnaville trouvèrent la tombe toute fraîche, et ils ramassèrent des images ensanglantées tombées du bréviaire de M. Mamias. 

Von Kayser, à qui incombe la responsabilité de ce crime, ainsi que l'a établi M. Fressard, commissaire de police mobile, au cours de son enquête, devait comparaître devant la cour de Leipzig. 

Très inquiet, il avait même écrit à Pagny-sur-Moselle pour retrouver des prisonniers de guerre français dont il se flattait d’avoir adouci la captivité. 

Avait-il des jours de férocité et des jours de clémence ? 

La France ayant retiré ses dossiers a Leipzig en présence de la partialité révoltante des juges allemands, les crimes de von Kayser ont, dans ces conditions , été soumis au conseil de guerre de Nancy. 

Le féroce soudard accueillera certainement avec un ironique sourire la nouvelle de la condamnation prononcée contre lui. Etant en Allemagne à l'abri de tout châtiment corporel il lui importe sans doute peu d'être flétri devant l'histoire et devant l'humanité.