L'éclair de l'est du 6 juillet 1928
Une visite à l’exposition des travaux d’élèves de l’école des Beaux-Arts de Nancy ➖
"L’exposition des travaux des élèves, en fin d’année scolaire, est d’un haut intérêt pédagogique. Elle offre un tableau de l’effort accompli, en même temps qu’elle manifeste et résume la méthode d’enseignement.
À notre école des Beaux-Arts, pendant l’année 1927-1928, le labeur fut très intense. L’abondance des devoirs exposés, des essais, des travaux collectifs, démontre très péremptoirement, qu’un beau zèle anime ces jeunes gens et ces jeunes filles, abordant la difficile et noble carrière de l’art.
Et la méthode qui régit l’école apparaît aussi. Méthode serrée, sévère pour les divisions élémentaires, mais qui s’élargit et laisse librement se dégager la personnalité de l’élève dès que la main et l’œil ont subit la stricte discipline nécessaire et possède une suffisante sûreté.
Visiblement, le directeur, M. Victor Prouvé, a l’amour du talent naissant, et le noble scrupule de ne pas contrarier l’orientation naturelle de ce talent. Il est convaincu, nous le sommes aussi, que l’esprit souffle où il veut. Il croit aux vocations d’art. Son enseignement nourrit, attise la flamme, mais la laisse palpiter et s’allonger au vent de l’inspiration personnelle.
Il en est du champ de l’art comme de ceux qu’on laboure et sème sous le ciel. La moisson n’est pas toujours égale. Il y a parfois abondance et sur abondance, mais parfois aussi demi récolte et même disette.
La visite que nous venons de faire aux Beaux-Arts nous convainc, en toute impartialité, que l’année sans être tout à fait riche, fut cependant belle et bonne.
L’exposition de la section sculpture est d’une qualité magnifique. C’est l’avis unanime des visiteurs que j’ai rencontrés. Le professeur, M. Carl, qui est modeste, m’accusera d’exagérer. Mais je dis vrai.
Voici : prise à l’Alexandre de Diogène, composition de Puget, une tête de Diogène, qui est d’une exécution puissante. Un fragment du Milon de Crotone. Une figure d’enfant, sculptée dans la masse en bois. Une copie vraiment exquise en pierre d’un buste de terre cuite du XVIIIe siècle, dit buste de Gilbert. Voici enfin, je regrette de ne pouvoir tout citer, deux reproductions en pierre de deux chef-d’œuvre, l’un de l’antiquité, l’enfant à l’oie, l’autre du Moyen Âge, la vierge d’Amiens , reproduction ou se révèle un praticien remarquable et un artiste.
Ce praticien, cet artiste, est un homme de 29 ans. Il s’appellePinot. Voici son histoire.
Il y avait une fois, mais oui, c’est comme un conte de fées, à Vandières, un jeune cheminot qui, a temps perdu, modelait la glaise et taillait la pierre. Il modelait et taillait, sans autre maître que son instinct, à sa manière. Il se trouva que cette manière, toute frustre qu’elle fut, arrêta l’attention d’un prêtre, homme de goût et homme de cœur.
Pinot était timide et sans ambition. Le prêtre fut audacieux et ambitieux pour lui. Il le mena, tout droit, à notre école des Beaux-Arts. La direction qui, je l’ai dit, à l’amour des talents naissants, fut accueillante. Le prêtre s’en alla, confiant, à M. Carl, le modeste et heureux Pinot.
Cinq années durant, Pinot fut observé, conseillé, jugé. M. Carl a le cœur chaud. Il prit en amitié son élève. Donc, sous le fer et bon regard du maître, devint un artiste. Il passa de la copie à l’original. Devant le modèle vivant, il se révéla portraitiste habile. On se souvient, à l’école, du buste de Melle B., exposé l’année dernière, œuvre pleine de fraîcheur. Pinot sait être, selon qu’il convient, gracieux ou fort.
Voilà donc un beau talent, lorrain, déjà, bien affirmé. Et ce talent est au service d’une pensée haute, noble, apte aux grandes émotions religieuses.
J’ai pensé qu’il convenait de signaler à MM. les prêtres et architectes, bâtisseurs d’églises , ce statuaire capable d’orner un temple des plus belles et des plus sincères sculptures. N’allons pas chercher toujours à Paris des statuts d’un art parfois médiocre. Nous là, tout près, l’homme qu’il faut."
Le Lorrain du 10 juillet 1926
"L’école municipale et régionale des Beaux-Arts de Nancy a fermé ses portes pour les vacances annuelles, et a ouvert son exposition de fin d’année scolaire.
Cette exposition est fort brillante et l’emporte de beaucoup, sur tout tout ce que nous avions vu au cours des années précédentes.
Toutes les sections : dessins, peinture, sculpture, menuiserie, ferronnerie, broderie, arts décoratifs, ont montré des travaux intéressants, dont beaucoup dépassent la moyenne, et certains sont vraiment hors de pair.
Telles les œuvres remarquables de ce jeune et distingué sculpteur, Adrien Pinot, de Vandières, qui se révèle d’emblée un maître et un grand artiste lorrain.
Retenez bien ce nom: Adrien Pinot !
Avant quelques années, il fera parler de lui, et l’on peut dès maintenant dire sans crainte, un véritable artiste nous est né. Et qui plus est, un excellent artiste chrétien, qui saura rénover la sculpture et produire des chefs-d’œuvre, autres heureusement que les affreuses peinture à la Maurice Denis et tutti quanti, chapelle chaotique des prétendus réformateurs de l’art chrétien en style moderne. On les a assez vu à Paris, l’an passé, ces pseudos rénovateurs.
Il y a peu de temps encore, Adrien Pinot était un des meilleurs employés des chemins de fer de l’Est. Le directeur zélé de nos cheminots catholique, le père Vigy, fut un jour mis en présence des maquettes et des essais du jeune Pinot, exécutes en ces moments perdus.
Mais il y a là un véritable artiste, dit l’ancien capitaine d’artillerie, qui a aujourd’hui le flair des belles et ardentes vocations religieuses et artistiques. Et il envoya son jeune cheminot à notre école des Beaux-Arts, où il a fait rapidement son chemin, émerveillant tous ses maîtres, et tous ceux qui visitent actuellement sa belle et si vivant, exposition, à la section de sculpture. La révélation de ce beau talent doit être une joie pour tous. Une grande espérance est là, et les diocèse de Nancy, Metz, Verdun, Saint-Dié, Strasbourg, vont avoir en Adrien Pinot un digne successeur et émule des Huel, père et fils, des Burtin, des Malherbe, des Bussières, qui ont peuplé, et peuplent encore nos églises d’ œuvres de style et de grand goût, dans la tradition liturgique et le culte de la vraie beauté."
Adrien obtient plusieurs prix en 1928:
1er prix au cours supérieur de modelage - section des beaux arts
1er prix de sculpture - section des beaux metiers
Adrien Emile Pinot est né le 13 novembre 1898, avant-hier il est le sixième enfant du couple Édouard, Pinot , vigneron et Marie Eugénie Damois, son épouse.
La famille habite rue Magot ( actuelle rue Saint Jean).
A la déclaration de guerre, Adrien a 15 ans. Trop jeune pour prendre part au conflit, il reste à Vandières et se retrouve bloqué par l’occupant allemand. Trop jeune pour être soldat mais assez âgé pour etre une menace pour l'envahisseur. Cela lui vaut d’être envoyé en camp de prisonniers en Allemagne d’avril 1916 à septembre 1918.
Peut-être a t’il rejoint son frère aîné, prisonnier à Holzminden (Basse Saxe) depuis décembre 1914.
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Prisonniers francais à Holzminden |
Après ses études à l’école des beaux-arts, il se marie avec Jeanne Emelie Lhuillier, elle aussi née à Vandières.
Le couple a trois enfants, nés à Vandières entre 1928 et 1932. Ils habitent route nationale.
Adrien devient veuf en 1978. Il meurt en 1982 à Longeville les Metz.
Je suis à la recherche de toutes informations à son sujet, notamment sur ses œuvres et sa carrière de sculpteur.