L’éclair de l’est du 17 août 1919
La cérémonie patriotique de Mars-la-Tour
La cérémonie traditionnelle de Mars-la-Tour n’a pas eu cette année, le même aspect qu’avant la guerre, ni la même ampleur. Il faut néanmoins féliciter M. l’abbé Gigleux, le successeur de M. le chanoine Faller au presbytère de Mars-la-Tour, d’avoir voulu revivre la tradition et d’avoir après cinq années d’interruption, réussi à amener au pied du monument une foule qui, si elle a été moins nombreuse qu’autrefois, n’en a pas moins fêté avec magnificence le pieu et héroïque anniversaire. Mars-la-Tour n’est plus le Mars-la-Tour d’il y a cinq ans.
Avant la guerre, la frontière était à deux pas, et les lorrains de l’autre côté se faisait une fête de venir manifester librement leurs sentiments français de ce côté. Comme ils étaient heureux, lorsqu’ils avaient dépassé, le poteau frontière, sur lequel l’aigle noir faisait une tache sombre, comme une tache de deuil, comme ils étaient heureux, lorsque le casque à pointe du gendarme ou l’ignoble, casquette plate du douanier boche était hors de vue, comme ils étaient heureux de rire à leur aise, d’arborer les cocardes tricolores, de crier de tous leurs poumons, des vivats en l’honneur de leur vrai patrie.
Mars-la-Tour, pendant cinq ans, a été occupé par les Allemands. On voit encore dans les rues des traces de leur passage et sur les murs de nombreuses inscriptions allemandes. Ils ont volé maints objet dans ce superbe curieux musée que le vénéré chanoine Faller avait pieusement organisé.
Comme nous le disions, au début de ce compte rendu, la fête d’hier a été bien réussie, mais sous un aspect différent de celui d’avant-guerre. Ce ne sont pas seulement les souvenirs de l’année terrible que l’on évoquait, mais l’actualité brillante de la revanche et du droit enfin vainqueur de la force brutale.
Les personnalités
Parmi les personnalités nombreuses qui étaient venues se mêler à la foule, pour prendre part à ces fêtes du souvenir, nous avons noté :
Monseigneur Ruch, évêque de Nancy, le digne successeur du grand évêque de la frontière, dont la voix puissante se fit entendre si souvent, à la tour en par circonstance. Messieurs De Wendel, député de Briey, Massoni, sous-préfet de Briey, Roland, secrétaire général de Metz, représentant M. Mirman, Humbert, conseiller général de Chambley, le commandant Begard, du 20e bataillon de chasseurs à pied, Jean, du souvenir français, de Metz, Samain, président de la Lorraine sportive, le capitaine Taulay, président de l’œuvre de Mars-la-Tour, Stef, conseiller d’arrondissement de Thiaucourt, Odile, président des prisonniers de guerre de 1870, Kélien, président du groupe, Margueritte, Seners, maire de Mars-la-Tour, Prevel, maire de Metz.
L’office religieux
Le cortège officiel se format à la mairie, pour se rendre à l’église, précédé de la fanfare du 20e bataillon de chasseurs à pied, des drapeaux de différentes sections de vétérans et de celui de la Lorraine sportive. L’office religieux fut célébré par monsieur l’abbé Gigleux, curé de Mars-la-Tour. Après la messe, Monsieur l’abbé Durand, supérieur du petit séminaire diocésain, monta, en chaire et prononça , le magnifique sermon suivant :
Vox sanguinis clamat
C’est la voix du sang versé qui vous jette son cri, grâce à Dieu et le ciel en soi béni, les heures tragiques sont passées, nous sommes revenus de nos craintes et de nos angoisses, nos plus chères espérances ont été réalisées, nous tenons la victoire et la paix. Appelé par votre cher et dévoué pasteur à prendre la parole dans cette cérémonie patriotique et religieuse, en ce jour anniversaire des combats de 1870, qui en sauvant l’honneur de la France, préparèrent et sauvegardaient son avenir, près des tombes des anciens héros, qui ont fait passer leurs âme vaillantes dans celle de leurs enfants, pendant cette messe solennelle offerte pour le repos des âmes des soldats morts victimes de l’une ou de l’autre guerre, je n’ai pas cherché longtemps le sujet que je traiterais devant vous, dans le cours espace de temps dont je dispose, il s’offrait et s’imposait naturellement à moi, et sans le moindre effort, la pensée m’est venue de vous rappeler, ce que nos vaillant soldats tombés sur les champs de bataille, ceux d’autrefois et ceux d’hier, car je ne veux pas les séparer dans les hommages religieux de ce jour, on fait pour nous ce que nous devons faire pour eux.
Mais avant de commencer, je me reprocherais de ne pas saluer respectueusement au nom de tous les membres ici présent des familles douloureusement et glorieusement éprouvées, par la mort des braves dont nous nous honorons aujourd’hui le souvenir, les autorités de cette ville, les hautes personnalités civiles et militaires, les sociétés patriotiques, les anciens combattants, qui, pour rendre cette honneur, à nos morts, se sont joint à nous dans une commune et sincère confraternité. Pourrais-je oublier nos frères, retrouvés au-delà de l’ancienne frontière, qui sont sans doute nombreux dans cette enceinte, de plein cœur, je les salue.
Pourrais-je aussi, ne pas donner un souvenir ému à la mémoire de cette belle figure de prêtre lorrain, du chanoine Faller, curé de cette paroisse, qui ne vécu que pour son église, et pour ce musée où il recueilli, avec un soin si précieux et si touchant les moindres souvenirs de nos anciennes batailles.
Ai-je besoin de dire que nous sommes tous heureux que Monseigneur L’évêque de Nancy, demain celui de Strasbourg, qui ne compte jamais avec le travail et la peine ait bien voulu accepter de présider cette cérémonie. Personnellement, je n’ai qu’un regret, c’est qu’il n’occupe pas personnellement cette chair, lui si qualifié, en tant de titre, pour porter ici la parole, digne successeur du grand évêque de la frontière, dont les collines voisines conservent encore l’écho de l’éloquence enflammée et des accents vibrants, du plus religieux et du plus pur patriotisme.
Ce que nos morts ont fait pour nous, nous ne le saurions bien que si nous avions été chaque jour de l’une ou de l’autre guerre, les témoins des dangers qu’ils ont couru, des privation de toutes sortes qu’ils ont supporté, des souffrances physiques et morales, qui ont précédé leur dernière immolation. Mais qu’importe après tout que les détails de leur vie militante, nous échappent ! Qui saura jamais, d’ailleurs, dans ces guerres des surprises, dans ces luttes pied à pied, ce qu’a fait de courageux et héroïque, chaque chef et chaque soldat. Ce qui paraît manifestement, ce qui est hors de doute, Ce que tous ont été prêts, je ne dis pas seulement à tous les devoirs, mais à tous les sacrifices. C’est que chacun a été aussi grand que les circonstances l’ont demandé. C’est que le danger a exalté leur vie en les faisant supérieur à la mort, c’est que tous se sont donné sous les balles, les obus et la mitraille, ou dans les et les dangers des ambulances ou dans les dures prisons de l’Allemagne, de véritables âmes de héros. Et ce faisant, ils nous ont laissé la plus éloquente des leçons, celle de l’abnégation et du dévouement. L’abnégation et le dévouement, la mort n’a fait chez eux que les consommer en les couronnant. Il semble qu’on ne puisse rien accomplir de plus pour une cause que de lui donner sa vie. Sans doute s’il n’y avait pas d’abord, à commencer par vivre et par souffrir généreusement pour elle. Et nos morts, nous l’ont appris avec une maîtrise victorieuse et c’est la répétons-le, une grande et opportune leçon. Les hommes ne manquent pas dans l’histoire, pour qui la course à la mort, a été comme une sorte d’ivresse, il y a, paraît-il, à certaines heures, dans l’isolation totale de soi-même, un tel breuvage, de gloire, qu’on l’absorbe en un instant sans presque y goûter, mais quand il faut savourer de longues heures, des jours et des nuits, des mois, des années même, sous le soleil, brûlant, sous la pluie, ou la neige glacée, dans la boue gluante des tranchées, sous la rafale des balles et de la mitraille, l’amer et long sacrifice qui prépare la mort à chaque instant possible, songeons, à la force morale, à l’énergie prodigieuse que suppose une telle attente pour ne pas défaillir !
Et quel enseignement pour nous tous ! Merci donc à nos morts pour cet enseignement, merci pour cette leçon de courage héroïque qu'il nous ont donnée. Merci aussi pour la grande part qui leur revient incontestablement, d'abord dans la résistance à la poussée allemande, première condition et prélude de la victoire, totale elle-même. Grâces leurs soient rendues, leurs sacrifices ont abouti au salut et à la gloire de la France; à l'effondrement du plus haut rêve d'orgueil, à la défaite de l'injustice de la barbarie et au triomphe du droit dans le monde.
Voilà en très raccourci, en quelques mots très brefs l'œuvre de nos morts. Après ce qu'ils ont fait pour nous, écoutons ce que nous devons faire pour eux. Il me semble que ces vaillants attendent de nous dans leurs tombes, trois choses, un hommage d'abord, ensuite la résolution ferme d'imiter leur courage, enfin une prière.
Un hommage d'abord : celui de toute notre admiration pour leur courage inlassable pour leurs suprêmes sacrifices, pour leur mort héroïque, pour leur gloire si pure. Ils ont par tout cela, tant honoré notre pays, et souvent notre foi, sauvegardé de si grands intérêts, excité tant de vertu, si largement contribué à la défense et au salut de la France, qu’il mérite bien, ces rédempteurs de la patrie, un peu de la vénération et du culte que nous avons pour nos saints.
Ceux qui ont fait la France, et ses lointaine origines, ceux qui l’ont protégé durant des siècles, ceux qui la rachète aux époques de grande tourmente, comme celle que nous venons de traverser, rattachant tant de gloire nouvelle au rayonnement de tout le passé déjà si glorieux, ne sont-ils pas de la même grande famille héroïque ? C’est pour cette raison que les tombes de nos soldats méritent, comme nos autels, une sorte de culte national. Nous pouvons en être fier et à bon droit, et rien n’est plus convenable que nous suspendions aux croix funèbres de nos héros, des couronnes bénites, symboles, tant à la fois de notre gratitude et de notre admiration.
Honneur donc à nos morts de Mars-la-Tour, de Gravelotte, de Sainte Marie-aux-Chênes, de Saint-Privat. Honneur nos morts de la Marne, de l'Yser, de la Somme, de l'Aisne, à de Verdun, du Bois-le-Prêtre, de la Lorraine, de tous nos champs de bataille d'Amiens, aux Dardanelles, saluons-les avec le plus profond respect, à tous nos hommages émus et reconnaissants.
Mais acclamer des héros ou des saints, c’est peu en définitive pour leur gloire, c’est peu surtout pour notre devoir. Il n’y a qu’une façon vraiment efficace d’honorer les morts, de pratiquer leurs vertus, c’est de bien remplir les charges de l’héritage qu’ils nous ont laissé, à côté d’autres hommages, ils ont droit à celui de nos efforts généreux. il s’agit donc moins pour nous de célébrer leur grandeur et leur mérite que d’être après eux, et sur leurs pas, ce qu’ils furent, c’est-à-dire, des vaillants, des patients et des forts. Tous les théâtre d’action sont bons pour pratiquer ces vertus. La guerre a fourni à nos soldats des occasions sans nombre. Mais tous, quelque soit notre condition, n’avons nous pas des actes multiples, de résignation, de patience, de courage à notre portée ? Pas un dévouement, à Dieu, pas un dévouement à notre pays, pas un dévouement à nos frères, qui ne soit resté d’actualité. Contemporain de temps d’exemples, de bravoure et d’héroïsme, ne nous dérobons pas à leur suggestion.
Partout où la providence nous a voulus et placé, dans le foyer modeste de notre famille, dans l’accomplissement de notre tâche quotidienne, montrons-nous, digne, par notre esprit, de renoncement et de sacrifice, et par notre générosité, d’avoir été choisi en quelque sorte, comme les légataire de temps héroïsme, qui dorment par milliers dans nos campagnes et nos cimetières de France.
« pratiquons, disait-il, il y a quelques temps et très simplement, notre glorieux généralissime, pratiquons dans la paix, comme dans la guerre, la grandeur, des forces morales. Enfin, à l’hommage à nos morts, de toute notre admiration et de nos efforts généreux pour leur ressembler le moins mal possible, nous ajouterons le vrai tribut de la reconnaissance chrétienne, je veux dire nos fraternelles prières qui sont plus qu’une aumône à faire, mais une dette à nos défenseurs, la dette de leur sans répandu, pour nous, dette, sacrée que rien ne remplace, ni les discours, ni les fleurs, ni les couronnes sur leurs tombes.
Et quoi, dira-t-on quand on les a vus si grands au sacrifice, et comme purifiés par la vertu de leur mort héroïque, ont ils donc encore besoin de nos suffrages et de nos prières ? Et que peut il manquer dans l’autre vie à leur bonheur ? À vrai dire nous craignons peu pour le salut du soldat qui meurt pour la plus sainte des causes qui tombe après avoir fait à ses frères la charité suprême de sa vie. Mais hier, ils étaient des hommes pêcheurs comme nous le sommes, encore couvert à tout le moins des poussières de la vie, que le passage de la mort ne suffit pas toujours à laver.
Ils attendent de votre charité, et n’attendent que d’elle, la purification parfaite de la robe immaculée que doivent porter les élus sur la tunique, même des héros. Que nos prières et nos sacrifices montent donc pour eux vers le trône de la divine miséricorde, afin de délivrer nous-même, s’il en est besoin, nos rédempteurs en vertu de cet admirable et consolante communion des saints, qui prolonge jusque dans l’éternité, les services mutuels que se rendent les âmes chrétiennes. Quel merveilleux échange nous permet notre saint religion ! À ceux qui nous ont gardé la patrie et la terre, nous pouvons ouvrir les portes de la patrie du ciel.
Je me rends bien compte que j’ai dit fort peu de choses, du grand sujet, que j’avais entrepris de traiter devant vous, je vais finir cependant, ne voulant pas mettre trop longtemps à l’épreuve, votre bienveillante attention. Nos morts sont des morts qui parlent et qui parlent avec éloquence du sang versé pour vous. Vox sanguinis clamat. On a déjà souvent répété ce mot de folie sublime jeté par un de nos soldats, sur une tranchée de Verdun : debout les morts. Ce mot, nos morts semblent vous le retournez : debout les vivants. Debout pour agir et agir virilement. Nous nous sommes acquittés de notre tâche, à vous de prendre la suite et de vous acquitter de la vôtre afin de maintenir notre cher pays aux cimes glorieuses où nous l’avons élevé, afin d’ achever l’œuvre pour laquelle nous sommes morts. Comme l’arbre séparé d’une partie de ses branches repousse plus vigoureusement, il faut que la race nouvelle, ébranchée de nos vies reverdisse plus forte que jamais, plus digne de l’estime et de l’admiration du monde et de l’amour de son Dieu.
Vous, qui vivez, remplacez et continuez ceux qui ne sont plus, et puisque les ouvriers sont moins nombreux, n’est-il pas tout indiqué qu’ils travaillent d’avantage. Il faut donc que nous vivions une vie plus intense et meilleure que par le passé, une vie semblable à celle de nos morts, avec ses énergies, ses vaillances, ses luttes et son souci de vaincre. Une vie haute et noblement ambitieuse, dégagée de toute capitulation, passant au travers de tous les obstacles, et s’en allant tout droit, toujours jusqu’au bout dans le devoir. À l’appel de nos morts, nous répondrons : nous sommes fiers de votre héritage, et nous voulons que vous soyez fiers de vos héritiers.
Recueillons-nous maintenant mes frères, dans une bonne et fervente prière. À nos morts de l’une et de l’autre guerre, de celle qui nous laissa avec l’honneur et l’espérance et de celle qui nous obtint la plus triomphante des victoires à ces vaillants qui donnèrent si généreusement leur vie pour leur pays, nous léguant l’exemple de la fidélité inébranlable au devoir jusqu’à l’héroïsme. Dieu de la justice, mais aussi de la bonté et de la miséricorde, Dieu, qui pesez les fautes, mais aussi les sacrifices, et les dévouements, donnez, nous vous en supplions, de toute la foi et de toute l’énergie de nos âmes, l’éternel et doux repos de notre ciel. Dona eis requiem sempiternam. Amen.
Au monument
A l'issue de la messe, le cortège se rendit au monument où Mgr Ruch donna l’absoute, M. De Wendel, député prît alors la parole, il exprime tout d'abord les regrets de M. Lebrun, ministre des régions libérées, qui n'a pu assister à cette belle manifestation. Puis il prononce l'éloquent discours suivant :
Messieurs les représentants du gouvernement, des autorités militaires, M. le maire de Metz, M. le maire de Mars-la-Tour, Monseigneur, Messieurs, ce n'est pas sans une réelle appréhension, je ne le cacherai pas, que j'ai répondu à M. le maire de Mars-la-Tour lorsqu'il m'a fait le très grand honneur de prier de présider la fête d'aujourd'hui et me de trouver les mots exacts pour traduire l'émotion que nous éprouvons tous au moment où, pour la première fois après la victoire, nous nous trouvons réunis au pied de ce monument élevé en l'honneur des vaincus de 1870.
Cette émotion que partage toute la France est en effet avant tout celle de toute la Lorraine, de la Lorraine restée française où l'on ressentait peut-être plus vivement que dans toute autre province, la blessure faite à la mère Patrie, aussi bien que la Lorraine hier encore annexée, asservie mais non soumise, qui pendant quarante huit ans, a payé avec l’Alsace la rançon de la France et attendu dans le deuil l’heure de la délivrance.
Mars-la-Tour, un nom qui sonne comme un coup de clairon. Mars-la-Tour était la fête des Lorrains, des annexés comme des Français. C'était la fête des frères de Metz de Thionville, de Gravelotte, de Saint Privât, qui montaient le 16 août, en longues théories. Pères, mères, enfants célébraient la France et la liberté. C'était aussi celle des gens de Briey, d'Audun, de Conflans, de Thiaucourt, d'Etain qui accouraient au-devant d'eux avec les soldats de la célèbre division de fer, les défenseurs de Toul et de Verdun. Pendant quarante ans, on s'est retrouvé dans le regret du passé mais aussi et surtout dans l'espoir de la revanche. Alors même que les discours respectaient certaines convenances diplomatique, on sentait que cet espoir était au fond des cœurs. Comment, quand cela se produirait-il ? On ne le savait pas très bien. Mais on avait le sentiment instinctif que cela devait être, qu'un jour viendrait fatalement où l'orgueil allemand viendrait à bout de la patience française et que ce jour là on les aurait, et le soir en s’en allant, Français et Lorrains annexés communiaient dans une même pensée et s’en allaient réconfortés.
La France pense-t’elle encore à nous ? Combien de fois n’ai-je pas entendu poser cette question de l’autre côté de la frontière, avec une angoisse dans les yeux interrogateurs.
Mars-la-Tour, c'était la réponse affirmative. Oui, la France n'était pas aussi distraite de ses devoirs, oublieuse de ses traditions que pouvaient le supposer ceux qui la voyaient simplement à travers ses querelles politiques.
Les Lorrains patriotes qu'on voyait accourir de la Meuse, de la Meurthe et des Vosges sans distinction d’opinions étaient bien la meilleure preuve que l'union sacrée se ferait au jour du danger !...
Et tandis qu'elle rassurait les annexés, la fête de Mars-la-Tour entretenait non seulement chez les Lorrains mais chez tous les Français, le culte du souvenir.
On y venait de tous les coins de notre sol.
On y revivait ces journées d'août 1870 où la fortune hésita, où la victoire s'échappa parce qu'on ne sut pas la saisir. L’étude même de ces journées montrait que le vainqueur n'était pas invincible et on repartait de là plus conscients des véritables intérêts de la France, plus confiants dans ses doctrines, on en repartait plus Français.
La France a triomphé. La victoire est venue. Appelée par Clemenceau, forcée par le génie de Foch, les armées de la République, la victoire est venue plus complète qu'aucun de nous ne l'avait peut-être espéré. L'Alsace et la Lorraine sont à nouveau françaises.
Notre premier devoir en ces jours de triomphe, et les organisateurs de la fête d'aujourd'hui l'ont compris, était de renouer la tradition d'avant-guerre, et de commémorer ceux qui, en 1870 à Rezonville à Saint-Privat, à Mars-la-Tour, avaient sauvé l'honneur. Il était plus encore de célébrer les héros qui nous ont, quarante-huit ans après, apporté la grande réparation.
Ils ont montré au monde, ces héros, que cette France, que certains croyaient divisée, dégénéré, était encore la grande nation, et que lorsqu’elle était attaquée, elle savait se défendre et donner tout son sang pour le droit et la liberté.
Ils ont montré qu’un siècle, ne change pas une race, et que les poilus de la grande guerre, les soldats de Pétain, de Castelnau, de Gouraud, de Mangin, ne le cédaient en rien aux grands ancêtres, aux volontaires de Valmy, aux grognards d’Austerlitz, aux conscrits de 1813.
Aux sceptiques, aux craintifs, qui, au début de la guerre, hochaient la tête et demandaient si nous allions à la victoire, ils ont immédiatement répondu, le grand couronné, la Marne. Puis, pendant plus de quatre ans, les fronts se sont stabilisés. Ils ont connu les marécages de l’Yser, les attaques d’Artois et de champagne en 1915, les angoisses et l’enfer de Verdun, les rudes de combat de la Somme, les difficultés de 1917, les formidables offensives de 1918.
La guerre a été longue, elle a été dure, terrible, et cependant, à aucun moment, même aux heures les plus critiques, ils n’ont pas douté de la victoire, confiant qu’ils étaient dans la justice de leur cause, dans le concours loyal de nos alliés, confiant, surtout dans les miracles qu’ils se sentaient capable d’accomplir.
Honneur à eux !.
Il nous reste encore à compléter leur œuvre. La France est victorieuse, c’est entendu, elle connaît, peut-être plus de gloire qu’elle n’en a jamais connu, et nous sommes dans la joie du retour de nos frères d’Alsace et de Lorraine. Mais ce serait fermer les yeux devant l’évidence que de ne pas voir quel sort meurtrie de cette lutte terrible, où elle a sacrifié sans compter les meilleurs de ses enfants.
Ici, même, à Mars-la-Tour, devant nous, c’est le pillage, la ruine. À côté de nous, ce sont Saint Julien les Forges, Onville, Dampvitoux, plus loin, à Verdun, à Saint Mihiel, et, d’un bout à l’autre du front, de Belfort, jusqu’à la mer, c’est destruction complète, c’est le désert, c’est le désastre
Désastre, fièrement, courageusement, supportée par ceux qui en sont les première victimes, mais désastre néanmoins. Ce désastre, la loi, la France entière a promis de le réparer, et je tiens à en renouveler ici l’assurance à tous ceux qui m’entourent : envahis, réfugiés, évacués de notre malheureuse région. Mais je croirais mal traduire la pensée de ceux qui sont honoré ici, si je n’insistais pas, au cours de cette fête, patriotique, sur la nécessité de continuer leur œuvre, en relevant nos ruines, et pour cela de rester unis dans la tâche pacifique, qui sera l’œuvre de demain, comme ils l’ont été dans la lutte contre l’envahisseur.
Là-bas, dans les tranchées, il y avait pas de division : paysans, ouvriers, bourgeois, s’unissaient et affrontaient la mort, côte à côte pour que la France vive, sorte victorieuse. Faisons comme eux. C’est un serment d’union que nous devons faire ici, devant ce monument, si nous savons comprendre la grande leçon qui nous a été donnée. Entendre les voix d’outre-tombe, les voix de ces héros qui ne veulent pas que leur sacrifice ait été vain. Ce sera la meilleure façon de leur rendre l’hommage qu’il leur est dû. Vive la France ! Vive la république !
Discours de M. Taunay
M. le capitaine Taunay succéda à M. de Wendel.
« C'est à ma présidence de l'œuvre de Mars-la-Tour que je dois l'honneur de prendre la parole devant vous. Cette belle œuvre avait été fondée avec le regretté chanoine Faller, décédé en avril 1914.
Il en avait été l'inspirateur, avec cet autre grand Lorrain qui également n’est plus.
« Tous deux furent constamment d'accord dans le grand but d'instituer un grand autel à la patrie. Cet autel demeure, parce que l'oubli de la France n'est pas possible. Nous nous y rendrons toujours, à cet autel, et quand nous ne serons plus, d'autres y viendront à notre place.
« En 1910, M. le chanoine Faller recevait ici même la croix de la Légion d'honneur et en même temps la couronne civique comme récompense de son œuvre. Que de tracas et que de mal lui a coûté son musée historique, que les Boches, pendant l'occupation, se sont amusés à éparpiller et à détruire. M. l'abbé Gigleux, le digne successeur du chanoine Faller, s'est dépensé sans compter et a pu en grande partie reconstituer ce musée qui reste ce qu'il a été jusqu'à présent.
« Rendons honneur à tous ceux qui combattirent, et honneur aussi à Mars-la-Tour, car cette ville connut aussi la victoire.
À chacun son dû. Je vais l’administrer aux Allemands. Qu’ils viennent nous parler de leur victoire ! Où est leur mérite ? Ce sont des sous ordre qui en ont le plus. Un exemple : le 14 août, ce fut Von der Goltz qui, allant, contre les ordres du grand état Major allemand, fonça dans les lignes françaises, qui, bien faibles, durent reculer. Et bien d’autres cas semblable. Mais Mars la Tour a encore sa page d’histoire, car ici, les Français se reformèrent et opposèrent une résistance sérieuse à l’ennemi.
Hommage donc, à ceux qui ont sauvé nos armes, et unissons tous les jeunes soldats de cette guerre, car ils ont suivi les traces de leur frère. Nous avons mis le temps, nous n’avons pas voulu la guerre, aussi notre triomphe n’en est que plus glorieux, et c’est enfin la revanche du droit. Répétez avec moi, ce cri générateur : vive la France !»
Ce discours est très longuement applaudi. Monsieur Prével, maire de Metz, monte ensuite à la tribune et prononce une allocution très courte.
«Je n’ai rien à ajouter, après ces beaux discours déjà prononcés, dit-il, mais j’adresse un merci au héros tombés en 1870, ainsi qu’à tous ces braves de la dernière guerre qui se sont sacrifiés pour nous. toujours, nous avons eu confiance, et pendant les 48 ans où nous ne venions ici que sous l’œil du gendarme allemand, nous avons toujours eu une confiance illimitée. Aussi, ces de plein cœur que je dit encore une fois. merci, et vive la France !»
Une compagnie du 20e bataillon de chasseurs à pied rendit les honneurs, puis précédé de la fanfare, le cortège se dirigeait vers la mairie ou la dislocation eut lieu. Une grande animation a régné dans le village, jusqu’au départ des trains du soir.