28/09/2024

Complement à Nos Villages Lorrains 177

 


En complément du prochain numéro de Nos village Lorrains, j'ajoute des photographies de la famille Grill que m'a envoyé Jean Pierre Grill (petit fils d'Emile Jean Grill).

La première à été prise devant le café Gril situé route nationale à Dieulouard, aujourd'hui le siège d'une pharmacie.


Sur la seconde on reconnait Emile Jean Grill et son épouse à la veille de la première guerre mondiale.


Un grand merci à Jean Pierre et Jean Sébastien Grill pour leur collaboration.

25/09/2024

Nos villages Lorrains Nº177


 Sommaire du numéro 177 qui va bientôt paraître 

Vous y trouverez le récit de la vie de Emile Jean Grill , héros de la première guerre mondiale, mort pour la France au début de la seconde ayant habité à Vandieres. 

24/09/2024

L'anniversaire de la bataille de Mars-La-Tour (partie 5)

 


L’éclair de l’est du 17 août 1919

La cérémonie patriotique de Mars-la-Tour

La cérémonie traditionnelle de Mars-la-Tour n’a pas eu cette année, le même aspect qu’avant la guerre, ni la même ampleur. Il faut néanmoins féliciter M. l’abbé Gigleux, le successeur de M.  le chanoine Faller au presbytère de Mars-la-Tour, d’avoir voulu revivre la tradition et d’avoir après cinq années d’interruption, réussi à amener au pied du monument une foule qui, si elle a été moins nombreuse qu’autrefois, n’en a pas moins fêté avec magnificence  le pieu et héroïque anniversaire. Mars-la-Tour n’est plus le Mars-la-Tour d’il y a cinq ans.
Avant la guerre, la frontière était à deux pas, et les lorrains de l’autre côté se faisait une fête de venir manifester librement leurs sentiments français de ce côté. Comme ils étaient heureux, lorsqu’ils avaient dépassé, le poteau frontière, sur lequel l’aigle noir faisait une tache sombre, comme une tache de deuil, comme ils étaient heureux, lorsque le casque à pointe du gendarme ou l’ignoble, casquette plate du douanier boche était hors de vue, comme ils étaient heureux de rire à leur aise, d’arborer les cocardes tricolores, de crier de tous leurs poumons, des vivats en l’honneur de leur vrai patrie.

Mars-la-Tour, pendant cinq ans, a été occupé par les Allemands. On voit encore dans les rues des traces de leur passage et sur les murs de nombreuses inscriptions allemandes. Ils ont volé maints objet dans ce superbe curieux musée que le vénéré chanoine Faller avait pieusement organisé. 
Comme nous le disions, au début de ce compte rendu, la fête d’hier a été bien réussie, mais sous un aspect différent de celui d’avant-guerre. Ce ne sont pas seulement les souvenirs de l’année terrible que l’on évoquait, mais l’actualité brillante de la revanche et du droit enfin vainqueur de la force brutale.

Les personnalités

Parmi les personnalités nombreuses qui étaient venues se mêler à la foule, pour prendre part à ces fêtes du souvenir, nous avons noté :
Monseigneur Ruch, évêque de Nancy, le digne successeur du grand évêque de la frontière, dont la voix puissante se fit entendre si souvent, à la tour en par circonstance. Messieurs De Wendel, député de Briey, Massoni, sous-préfet de Briey, Roland, secrétaire général de Metz, représentant M.  Mirman, Humbert, conseiller général de Chambley, le commandant Begard, du 20e bataillon de chasseurs à pied, Jean, du souvenir français, de Metz, Samain, président de la Lorraine sportive, le capitaine Taulay, président de l’œuvre de Mars-la-Tour, Stef, conseiller d’arrondissement de Thiaucourt, Odile, président des prisonniers de guerre de 1870, Kélien, président du groupe, Margueritte, Seners, maire de Mars-la-Tour, Prevel, maire de Metz.

L’office religieux

Le cortège officiel se format à la mairie, pour se rendre à l’église, précédé de la fanfare du 20e bataillon de chasseurs à pied, des drapeaux de différentes sections de vétérans et de celui de la Lorraine sportive. L’office religieux fut célébré par monsieur l’abbé Gigleux, curé de Mars-la-Tour. Après la messe, Monsieur l’abbé Durand, supérieur du petit séminaire diocésain, monta, en chaire et prononça , le magnifique sermon suivant :
Vox sanguinis clamat
C’est la voix du sang versé qui vous jette son cri, grâce à Dieu et le ciel en soi béni, les heures tragiques sont passées, nous sommes revenus de nos craintes et de nos angoisses, nos plus chères  espérances ont été réalisées, nous tenons la victoire et la paix. Appelé par votre cher et dévoué pasteur à prendre la parole dans cette cérémonie patriotique et religieuse, en ce jour anniversaire des combats de 1870, qui en sauvant l’honneur de la France, préparèrent et sauvegardaient son avenir, près des tombes des anciens héros, qui ont fait passer leurs âme vaillantes dans celle de leurs enfants, pendant cette messe solennelle offerte pour le repos des âmes des soldats morts victimes de l’une ou de l’autre guerre, je n’ai pas cherché longtemps le sujet que je traiterais devant vous, dans le cours espace de temps dont je dispose, il s’offrait et s’imposait naturellement à moi, et sans le moindre effort, la pensée m’est venue de vous rappeler, ce que nos vaillant soldats tombés sur les champs de bataille, ceux d’autrefois et ceux d’hier, car je ne veux pas les séparer dans les hommages religieux de ce jour, on fait pour nous ce que nous devons faire pour eux.

Mais avant de commencer, je me reprocherais de ne pas saluer respectueusement au nom de tous les membres ici présent des familles douloureusement et glorieusement éprouvées, par la mort des braves dont nous nous honorons aujourd’hui le souvenir, les autorités de cette ville, les hautes personnalités civiles et militaires, les sociétés patriotiques, les anciens combattants, qui, pour rendre cette honneur, à nos morts, se sont joint à nous dans une commune et sincère confraternité. Pourrais-je oublier nos frères, retrouvés au-delà de l’ancienne frontière, qui sont sans doute nombreux dans cette enceinte, de plein cœur, je les salue.
Pourrais-je aussi, ne pas donner un souvenir ému à la mémoire de cette belle figure de prêtre lorrain, du chanoine Faller, curé de cette paroisse, qui ne vécu que pour son église, et pour ce musée où il recueilli, avec un soin si précieux et si touchant les moindres souvenirs de nos anciennes batailles.

Ai-je besoin de dire que nous sommes tous heureux que Monseigneur L’évêque de Nancy, demain celui de Strasbourg, qui ne compte jamais avec le travail et la peine ait bien voulu accepter de présider cette cérémonie. Personnellement, je n’ai qu’un regret, c’est qu’il n’occupe pas personnellement cette chair, lui si qualifié, en tant de titre, pour porter ici la parole, digne successeur du grand évêque de la frontière, dont les collines voisines conservent encore l’écho de l’éloquence enflammée et des accents vibrants, du plus religieux et du plus pur patriotisme.
Ce que nos morts ont fait pour nous, nous ne le saurions bien que si nous avions été chaque jour de l’une ou de l’autre guerre, les témoins des dangers qu’ils ont couru, des privation de toutes sortes qu’ils ont supporté, des souffrances physiques et morales, qui ont précédé leur dernière immolation. Mais qu’importe après tout que les détails de leur vie militante, nous échappent ! Qui saura jamais, d’ailleurs, dans ces guerres des surprises, dans ces luttes pied à pied, ce qu’a fait de courageux et héroïque, chaque chef et chaque soldat. Ce qui paraît manifestement, ce qui est hors de doute, Ce que tous ont été prêts, je ne dis pas seulement à tous les devoirs, mais à tous les sacrifices. C’est que chacun a été aussi grand que les circonstances l’ont demandé. C’est que le danger a exalté leur vie en les faisant supérieur à la mort, c’est que tous se sont donné sous les balles, les obus et la mitraille, ou dans les et les dangers des ambulances ou dans les dures prisons de l’Allemagne, de véritables âmes de héros. Et ce faisant, ils nous ont laissé la plus éloquente des leçons, celle de l’abnégation et du dévouement. L’abnégation et le dévouement, la mort n’a fait chez eux que les consommer en les couronnant. Il semble qu’on ne puisse rien accomplir de plus pour une cause que de lui donner sa vie. Sans doute s’il n’y avait pas d’abord, à commencer par vivre et par souffrir généreusement pour elle. Et nos morts, nous l’ont appris avec une maîtrise victorieuse et c’est la répétons-le, une grande et opportune leçon.  Les hommes ne manquent pas dans l’histoire, pour qui la course à la mort, a été comme une sorte d’ivresse, il y a, paraît-il, à certaines heures, dans l’isolation totale de soi-même, un tel breuvage, de gloire, qu’on l’absorbe en un instant  sans presque y goûter, mais quand il faut savourer de longues heures, des jours et des nuits, des mois, des années même, sous le soleil, brûlant, sous la pluie, ou la neige glacée, dans la boue gluante des tranchées, sous la rafale des balles et de la mitraille, l’amer et long sacrifice qui prépare la mort à chaque instant possible, songeons, à la force morale, à l’énergie prodigieuse que suppose une telle attente pour ne pas défaillir !
Et quel enseignement pour nous tous ! Merci donc à nos morts pour cet enseignement, merci pour cette leçon de courage héroïque qu'il nous ont donnée. Merci aussi pour la grande part qui leur revient incontestablement, d'abord dans la résistance à la poussée allemande, première condition et prélude de la victoire, totale elle-même. Grâces leurs soient rendues, leurs sacrifices ont abouti au salut et à la gloire de la France; à l'effondrement du plus haut rêve d'orgueil, à la défaite de l'injustice de la barbarie et au triomphe du droit dans le monde.
Voilà en très raccourci, en quelques mots très brefs l'œuvre de nos morts. Après ce qu'ils ont fait pour nous, écoutons ce que nous devons faire pour eux. Il me semble que ces vaillants attendent de nous dans leurs tombes, trois choses, un hommage d'abord, ensuite la résolution ferme d'imiter leur courage, enfin une prière.

Un hommage d'abord : celui de toute notre admiration pour leur courage inlassable pour leurs suprêmes sacrifices, pour leur mort héroïque, pour leur gloire si pure. Ils ont par tout cela, tant honoré notre pays, et souvent notre foi, sauvegardé de si grands intérêts, excité tant de vertu, si largement contribué à la défense et au salut de la France, qu’il mérite bien, ces rédempteurs de la patrie, un peu de la vénération et du culte que nous avons pour nos saints.
Ceux qui ont fait la France, et ses lointaine origines, ceux qui l’ont protégé durant des siècles, ceux qui la rachète aux époques de grande tourmente, comme celle que nous venons de traverser, rattachant tant de gloire nouvelle au rayonnement de tout le passé déjà si glorieux, ne sont-ils pas de la même grande famille héroïque ? C’est pour cette raison que les tombes de nos soldats méritent, comme nos autels, une sorte de culte national. Nous pouvons en être fier et à bon droit, et rien n’est plus convenable que nous suspendions aux croix funèbres de nos héros, des couronnes bénites, symboles, tant à la fois de notre gratitude et de notre admiration. 
Honneur donc à nos morts de Mars-la-Tour, de Gravelotte, de Sainte Marie-aux-Chênes, de Saint-Privat. Honneur nos morts de la Marne, de l'Yser, de la Somme, de l'Aisne, à de Verdun, du Bois-le-Prêtre, de la Lorraine, de tous nos champs de bataille d'Amiens, aux Dardanelles, saluons-les avec le plus profond respect, à tous nos hommages émus et reconnaissants.
Mais acclamer des héros ou des saints, c’est peu en définitive pour leur gloire, c’est peu surtout pour notre devoir. Il n’y a qu’une façon vraiment efficace d’honorer les morts, de pratiquer leurs vertus, c’est de bien remplir les charges de l’héritage qu’ils nous ont laissé, à côté d’autres hommages, ils ont droit à celui de nos efforts généreux. il s’agit donc moins pour nous de célébrer leur grandeur et leur mérite  que d’être après eux, et sur leurs pas, ce qu’ils  furent, c’est-à-dire, des vaillants, des patients et des forts. Tous les théâtre d’action sont bons pour pratiquer ces vertus. La guerre a fourni à nos soldats des occasions sans nombre. Mais tous, quelque soit notre condition, n’avons nous pas des actes multiples, de résignation, de patience, de courage à notre portée ? Pas un dévouement, à Dieu, pas un dévouement à notre pays, pas un dévouement à nos frères, qui ne soit resté d’actualité. Contemporain de temps d’exemples, de bravoure et d’héroïsme, ne nous dérobons pas à leur suggestion.

Partout où la providence nous a voulus et placé, dans le foyer modeste de notre famille, dans l’accomplissement de notre tâche quotidienne, montrons-nous, digne, par notre esprit, de renoncement et de sacrifice, et par notre générosité, d’avoir été choisi en quelque sorte, comme les légataire de temps héroïsme, qui dorment par milliers dans nos campagnes et nos cimetières de France.
« pratiquons, disait-il, il y a quelques temps et très simplement, notre glorieux généralissime, pratiquons dans la paix, comme dans la guerre, la grandeur, des forces morales. Enfin, à l’hommage à nos morts, de toute notre admiration et de nos efforts généreux pour leur ressembler le moins mal possible, nous ajouterons le vrai tribut de la reconnaissance chrétienne, je veux dire nos fraternelles prières qui sont plus qu’une aumône à faire, mais une dette à nos défenseurs, la dette de leur sans répandu, pour nous, dette, sacrée que rien ne remplace, ni les discours, ni les fleurs, ni les couronnes sur leurs tombes.
Et quoi, dira-t-on quand on les a vus si grands au sacrifice, et comme purifiés par la vertu de leur mort héroïque, ont ils donc encore besoin de nos suffrages et de nos prières ? Et que peut il manquer dans l’autre vie à leur bonheur ? À vrai dire nous craignons peu pour le salut du soldat qui meurt pour la plus sainte des causes qui tombe après avoir fait à ses frères la charité suprême de sa vie. Mais hier, ils étaient des hommes pêcheurs comme nous le sommes, encore couvert à tout le moins des poussières de la vie, que le passage de la mort ne suffit pas toujours à laver. 
Ils attendent de votre charité, et n’attendent que d’elle, la purification parfaite de la robe immaculée que doivent porter les élus sur la tunique, même des héros. Que nos prières et nos sacrifices montent donc pour eux vers le trône de la divine miséricorde, afin de délivrer nous-même, s’il en est besoin, nos rédempteurs en vertu de cet admirable et consolante communion des saints, qui prolonge jusque dans l’éternité, les services mutuels que se rendent les âmes chrétiennes. Quel merveilleux échange nous permet notre saint religion ! À ceux qui nous ont gardé la patrie et la terre, nous pouvons ouvrir les portes de la patrie du ciel.
Je me rends bien compte que j’ai dit fort peu de choses, du grand sujet, que j’avais entrepris de traiter devant vous, je vais finir cependant, ne voulant pas mettre trop longtemps à l’épreuve, votre bienveillante attention. Nos morts sont des morts qui parlent et qui parlent avec éloquence du sang versé pour vous. Vox sanguinis clamat. On a déjà souvent répété ce mot de folie sublime jeté par un de nos soldats, sur une tranchée de Verdun : debout les morts. Ce mot, nos morts semblent vous le retournez : debout les vivants. Debout pour agir et agir virilement. Nous nous sommes acquittés de notre tâche, à vous de prendre la suite et de vous acquitter de la vôtre afin de maintenir notre cher pays aux cimes glorieuses où nous l’avons élevé, afin d’ achever l’œuvre pour laquelle nous sommes morts. Comme l’arbre séparé d’une partie de ses branches repousse plus vigoureusement, il faut que la race nouvelle, ébranchée de nos vies reverdisse plus forte que jamais, plus digne de l’estime et de l’admiration du monde et de l’amour de son Dieu.
Vous, qui vivez, remplacez et continuez ceux qui ne sont plus, et puisque les ouvriers sont moins nombreux, n’est-il pas tout indiqué qu’ils travaillent d’avantage. Il faut donc que nous vivions une vie plus intense et meilleure que par le passé, une vie semblable à celle de nos morts, avec ses énergies, ses vaillances, ses luttes et son souci de vaincre. Une vie haute et noblement  ambitieuse, dégagée de toute capitulation, passant au travers de tous les obstacles, et s’en allant tout droit, toujours jusqu’au bout dans le devoir. À l’appel de nos morts, nous répondrons : nous sommes fiers de votre héritage, et nous voulons que vous soyez fiers de vos héritiers.
Recueillons-nous maintenant mes frères, dans une bonne et fervente prière. À nos morts de l’une et de l’autre guerre, de celle qui nous laissa avec l’honneur et l’espérance et de celle qui nous obtint la plus triomphante des victoires à ces vaillants qui donnèrent si généreusement leur vie pour leur pays, nous léguant l’exemple de la fidélité inébranlable au devoir jusqu’à l’héroïsme. Dieu de la justice, mais aussi de la bonté et de la miséricorde, Dieu, qui pesez les fautes, mais aussi les sacrifices, et les dévouements, donnez, nous vous en supplions, de toute la foi et de toute l’énergie de nos âmes, l’éternel et doux repos de notre ciel. Dona eis requiem sempiternam. Amen.   

Au monument

A l'issue de la messe, le cortège se rendit au monument où Mgr Ruch donna l’absoute, M.  De Wendel, député prît alors la parole, il exprime tout d'abord les regrets de M. Lebrun, ministre des régions libérées, qui n'a pu assister à cette belle manifestation. Puis il prononce l'éloquent discours suivant :
Messieurs les représentants du gouvernement, des autorités militaires, M. le maire de Metz, M. le maire de Mars-la-Tour, Monseigneur, Messieurs, ce n'est pas sans une réelle appréhension, je ne le cacherai pas, que j'ai répondu à M. le maire de Mars-la-Tour lorsqu'il m'a fait le très grand honneur de prier de présider la fête d'aujourd'hui et me de trouver les mots exacts pour traduire l'émotion que nous éprouvons tous au moment où, pour la première fois après la victoire, nous nous trouvons réunis au pied de ce monument élevé en l'honneur des vaincus de 1870.
Cette émotion que partage toute la France est en effet avant tout celle de toute la Lorraine, de la Lorraine restée française où l'on ressentait peut-être plus vivement que dans toute autre province, la blessure faite à la mère Patrie, aussi bien que la Lorraine hier encore annexée, asservie mais non soumise, qui pendant quarante huit ans, a payé avec l’Alsace la rançon de la France et attendu dans le deuil l’heure de la délivrance. 
Mars-la-Tour, un nom qui sonne comme un coup de clairon. Mars-la-Tour était la fête des Lorrains, des annexés comme des Français. C'était la fête des frères de Metz de Thionville, de Gravelotte, de Saint Privât, qui montaient le 16 août, en longues théories. Pères, mères, enfants célébraient la France et la liberté. C'était aussi celle des gens de Briey, d'Audun, de Conflans, de Thiaucourt, d'Etain qui accouraient au-devant d'eux avec les soldats de la célèbre division de fer, les défenseurs de Toul et de Verdun. Pendant quarante ans, on s'est retrouvé dans le regret du passé mais aussi et surtout dans l'espoir de la revanche. Alors même que les discours respectaient certaines convenances diplomatique, on sentait que cet espoir était au fond des cœurs. Comment, quand cela se produirait-il ? On ne le savait pas très bien. Mais on avait le sentiment instinctif que cela devait être, qu'un jour viendrait fatalement où l'orgueil allemand viendrait à bout de la patience française et que ce jour là on les aurait, et le soir en s’en allant, Français et Lorrains annexés communiaient dans une même pensée et s’en allaient réconfortés.
La France pense-t’elle encore à nous ? Combien de fois n’ai-je pas entendu poser cette question de l’autre côté de la frontière, avec une angoisse dans les yeux interrogateurs. 
Mars-la-Tour, c'était la réponse affirmative. Oui, la France n'était pas aussi distraite de ses devoirs, oublieuse de ses traditions que pouvaient le supposer ceux qui la voyaient simplement à travers ses querelles politiques.
Les Lorrains patriotes qu'on voyait accourir de la Meuse, de la Meurthe et des Vosges sans distinction d’opinions étaient bien la meilleure preuve que l'union sacrée se ferait au jour du danger !...
Et tandis qu'elle rassurait les annexés, la fête de Mars-la-Tour entretenait non seulement chez les Lorrains mais chez tous les Français, le culte du souvenir.
On y venait de tous les coins de notre sol.
On y revivait ces journées d'août 1870 où la fortune hésita, où la victoire s'échappa parce qu'on ne sut pas la saisir. L’étude même de ces journées montrait que le vainqueur n'était pas invincible et on repartait de là plus conscients des véritables intérêts de la France, plus confiants dans ses doctrines, on en repartait plus Français. 
La France a triomphé. La victoire est venue. Appelée par Clemenceau, forcée par le génie de Foch, les armées de la République, la victoire est venue plus complète qu'aucun de nous ne l'avait peut-être espéré. L'Alsace et la Lorraine sont à nouveau françaises.
Notre premier devoir en ces jours de triomphe, et les organisateurs de la fête d'aujourd'hui l'ont compris, était de renouer la tradition d'avant-guerre, et de commémorer ceux qui, en 1870 à Rezonville à Saint-Privat, à Mars-la-Tour, avaient sauvé l'honneur.  Il était plus encore de célébrer les héros qui nous ont, quarante-huit ans après, apporté la grande réparation.
Ils ont montré au monde, ces héros, que cette France, que certains croyaient divisée, dégénéré, était encore la grande nation, et que lorsqu’elle était attaquée, elle savait se défendre et donner tout son sang pour le droit et la liberté.
Ils ont montré qu’un siècle, ne change pas une race, et que les poilus de la grande guerre, les soldats de Pétain, de Castelnau, de Gouraud, de Mangin, ne le cédaient en rien aux grands ancêtres, aux volontaires de Valmy, aux grognards d’Austerlitz, aux conscrits de 1813. 
Aux sceptiques, aux craintifs, qui, au début de la guerre, hochaient la tête et demandaient si nous allions à la victoire, ils ont immédiatement répondu, le grand couronné, la Marne. Puis, pendant plus de quatre ans, les fronts se sont stabilisés. Ils ont connu les marécages de l’Yser, les attaques d’Artois et de champagne en 1915, les angoisses et l’enfer de Verdun, les rudes de combat de la Somme, les difficultés de 1917, les formidables offensives de 1918.
La guerre a été longue, elle a été dure, terrible, et cependant, à aucun moment, même aux heures les plus critiques, ils n’ont pas douté de la victoire, confiant qu’ils étaient dans la justice de leur cause, dans le concours loyal de nos alliés, confiant, surtout dans les miracles qu’ils se sentaient capable d’accomplir.
Honneur à eux !.
Il nous reste encore à compléter leur œuvre. La France est victorieuse, c’est entendu, elle connaît, peut-être plus de gloire qu’elle n’en a jamais connu, et nous sommes dans la joie du retour de nos frères d’Alsace et de Lorraine. Mais ce serait fermer les yeux devant l’évidence que de ne pas voir quel sort meurtrie de cette lutte terrible, où elle a sacrifié sans compter les meilleurs de ses enfants. 
Ici, même, à Mars-la-Tour, devant nous, c’est le pillage, la ruine. À côté de nous, ce sont Saint Julien les Forges, Onville, Dampvitoux, plus loin, à Verdun, à Saint Mihiel, et, d’un bout à l’autre du front, de Belfort, jusqu’à la mer, c’est destruction complète, c’est le désert, c’est le désastre
Désastre, fièrement, courageusement, supportée par ceux qui en sont les première victimes, mais désastre néanmoins. Ce désastre, la loi, la France entière a promis de le réparer, et je tiens à en renouveler ici l’assurance à tous ceux qui m’entourent : envahis, réfugiés, évacués de notre malheureuse région. Mais je croirais mal traduire la pensée de ceux qui sont honoré ici, si je n’insistais pas, au cours de cette fête, patriotique, sur la nécessité de continuer leur œuvre, en relevant nos ruines, et pour cela de rester unis dans la tâche pacifique, qui sera l’œuvre de demain, comme ils l’ont été dans la lutte contre l’envahisseur.
Là-bas, dans les tranchées, il y avait pas de division : paysans, ouvriers, bourgeois, s’unissaient et affrontaient la mort, côte à côte pour que la France vive, sorte victorieuse. Faisons comme eux. C’est un serment d’union que nous devons faire ici, devant ce monument, si nous savons comprendre la grande leçon qui nous a été donnée. Entendre les voix d’outre-tombe, les voix de ces héros qui ne veulent pas que leur sacrifice ait été vain. Ce sera la meilleure façon de leur rendre l’hommage qu’il leur est dû. Vive la France ! Vive la république !

Discours de  M. Taunay

M. le capitaine Taunay succéda à M. de Wendel.
« C'est à ma présidence de l'œuvre de Mars-la-Tour que je dois l'honneur de prendre la parole devant vous. Cette belle œuvre avait été fondée avec le regretté chanoine Faller, décédé en avril 1914.
Il en avait été l'inspirateur, avec cet autre grand Lorrain qui également n’est plus. 
« Tous deux furent constamment d'accord dans le grand but d'instituer un grand autel à la patrie. Cet autel demeure, parce que l'oubli de la France n'est pas possible. Nous nous y rendrons toujours, à cet autel, et quand nous ne serons plus, d'autres y viendront à notre place.
« En 1910, M. le chanoine Faller recevait ici même la croix de la Légion d'honneur et en même temps la couronne civique comme récompense de son œuvre. Que de tracas et que de mal lui a coûté son musée historique, que les Boches, pendant l'occupation, se sont amusés à éparpiller et à détruire. M. l'abbé Gigleux, le digne successeur du chanoine Faller, s'est dépensé sans compter et a pu en grande partie reconstituer ce musée qui reste ce qu'il a été jusqu'à présent.
« Rendons honneur à tous ceux qui combattirent, et honneur aussi à Mars-la-Tour, car cette ville connut aussi la victoire. 
À chacun son dû. Je vais l’administrer aux Allemands. Qu’ils viennent nous parler de leur victoire ! Où est leur mérite ? Ce sont des sous ordre qui en ont le plus. Un exemple : le 14 août, ce fut Von der Goltz qui, allant, contre les ordres du grand état Major allemand, fonça dans les lignes françaises, qui, bien faibles, durent reculer. Et bien d’autres cas semblable. Mais Mars la Tour a encore sa page d’histoire, car ici, les Français se reformèrent et opposèrent une résistance sérieuse à l’ennemi.
Hommage donc, à ceux qui ont sauvé nos armes, et unissons tous les jeunes soldats de cette guerre, car ils ont suivi les traces de leur frère. Nous avons mis le temps, nous n’avons pas voulu la guerre, aussi notre triomphe n’en est que plus glorieux, et c’est enfin la revanche du droit. Répétez avec moi, ce cri générateur : vive la France !»
Ce discours est très longuement applaudi. Monsieur Prével, maire de Metz, monte ensuite à la tribune et prononce une allocution très courte. 
«Je n’ai rien à ajouter, après ces beaux discours déjà prononcés, dit-il, mais j’adresse un merci au héros tombés en 1870, ainsi qu’à tous ces braves de la dernière guerre qui se sont sacrifiés pour nous. toujours, nous avons eu confiance, et pendant les 48 ans où nous ne venions ici que sous l’œil du gendarme allemand, nous avons toujours eu une confiance illimitée. Aussi, ces de plein cœur que je dit encore une fois. merci, et vive la France !»
Une compagnie du 20e bataillon de chasseurs à pied rendit les honneurs, puis précédé de la fanfare, le cortège se dirigeait vers la mairie ou la dislocation eut lieu. Une grande animation a régné dans le village, jusqu’au départ des trains du soir.



23/09/2024

L'anniversaire de la bataille de Mars-La-Tour (partie 4)


Journal de la Meurthe et des Vosges du  20 août 1914

Le bombardement de Mars-la-Tour 

Nous l'avions prévu. Les misérables allemands qui ne respectent ni foi, ni loi, devaient bombarder — le 16 août, anniversaire de la bataille de 1870.  Le village de Mars-la-Tour, l'église commémorative, le musée patriotique du vénérable abbé Faller et jusqu'à l'admirable Monument de Bogino. 

Dimanche, à 2 heures et demie de l'après-midi, la population toute entière du village était aux vêpres, car elle avait tenu à célébrer quand même l'anniversaire du 16 août 1870. 

Soudain un coup de canon retentit. Un obus passe en sifflant et tombe sur le village. 

Les habitants sortent aussitôt de l'église et courent se réfugier dans les caves. 

Pendant ce temps, le bombardement continue. Avec une régularité mathématique, les obus tombent, par séries de cinq, de cinq en cinq minutes. 

On peut apercevoir la fumée des canons, la batterie, une batterie de 75, est installée prés de Vionville, non loin du fameux lion qui se dresse à l'intersection des routes de Tronville et de Vionville, soit à environ trois kilomètres et demi de Mars-la-Tour. 

Deux personnes sont frappées à mort, pendant qu'elles se sauvent de l'église dans les caves, c'est d'abord M. Thomas, ancien mécanicien, qui est tué non loin de la gendarmerie ; puis Mme Bastien, tuée en arrivant chez elle, vers le monument. 

Le bombardement se termina ainsi vers 3 heures et demie. 

Plusieurs maisons sont touchées, mais une seule l'est sérieusement, celle du percepteur. 

Une heure plus tard, quatre uhlans, ayant à leur tête un sous officier, se présentaient, revolver au poing au village et criaient à tue-tête : « Victoire ! Les Français kapout ! » 

Ils se rendirent ensuite au passage à niveau près du monument et obligèrent la garde-barrière à lui remettre ses papiers. Ils revinrent ensuite à la mairie où se trouvait M. Seners, maire, qu'ils obligèrent à leur remettre le drapeau de la commune et sommèrent de leur fournir 16 chevaux et 4 voitures à fourrages. 

M. Seners leur ayant fait comprendre que tous les chevaux avaient été réquisitionnés, ils voulurent s'en rendre compte en visitant quelques écuries Ils disparurent alors sans commettre leurs atrocités habituelles. 

Médaillés allemands devant le monument de 1870

Soldats allemands au centre du village



22/09/2024

L'anniversaire de la bataille de Mars-La-Tour (partie 3)

 


Éclair de l’est du 19 avril 1914

Mort de M. le chanoine FALLER curé de Mars-la-Tour 

Nous avons le profond regret d'apprendre la mort survenue samedi de M. le chanoine Faller, le vénéré curé de Mars-la-Tour. On sait avec quelle piété filiale le dévoué curé, dès sa nomination à la cure de Mars-la-Tour, en 1875, entreprit son œuvre patriotique de la commémoration de la terrible bataille du 16 août. 

Restaurer son église, élever le monument national, établir l’ossuaire, organiser le musée militaire, telle fut l'œuvre à laquelle il se consacra. Par la même, il était devenu l’immuable curé de  Mars-la-Tour et il avait conquis la notoriété et la popularité bien au delà de notre province lorraine. 

Excellent, prêtre d ailleurs, son dévouement à son œuvre, qu’il mena à bien par sa ténacité, ne lui laissait pas oublier les intérêts religieux de ses paroissiens, qui tous, avaient pour lui la plus respectueuse affection.

Il y a quelques années, le gouvernement de la République daigna décerner la croix de la Légion d’honneur à ce simple curé de campagne ; ou s’aperçut enfin qu’il avait fait de grandes choses, en entretenant le souvenir des défaites subies et des revanches à prendre; sur le lieu même des luttes héroïques. 

En 1912, la Société d’encouragement au bien lui décernait sa grande médaille d’or et son diplôme d’honneur. 

M. le chanoine Faller était né à Metz en 1834 ; il avait été ordonné en 1860 ; en 1898, Mgr Turinaz l’avait nommé, chanoine honoraire de la Cathédrale de Nancy.  

Tous les lecteurs de l’ «Eclair de l’Est» auront un pieux souvenir et une prière pour le regretté curé de Mars-la-Tour. 

Les obsèques sont fixées à jeudi 23 avril, à 10 heures et demie.

Avis mortuaire

Vous êtes priés d’assister aux convoi, service et enterrement de 

Monsieur l’abbé Joseph FALLER 

Curé de Mars-la-Tour

Chanoine honoraire de la cathédrale de Nancy 

Chevalier de la Légion d’honneur 

Lauréat de la couronne civique de la société nationale d’encouragement au bien

Fondateur du musée militaire de de l’église commémorative de Mars-la-Tour

Pieusement décédé en son presbytère de Mars-la-Tour, le samedi 18 avril 1914, dans sa 80e année , muni des sacrements de Notre Mère la Sainte Église 

Qui se feront le jeudi 23 courant, à 10 h très précises du matin, dans l’église paroissiale et commémorative de Mars-la-Tour

De la part :

Des membres des familles RICHARD,  PERNET, WAGENER, JOLLIOT, ENTRINGER, ses cousins et cousines.  

De l’abbé COLIN, son vicaire

Des abbés DROUET et GALLAND, ses anciens vicaires 

De messieurs les membres du conseil paroissial et du comité catholique de Mars-la-Tour

De monsieur le maire, de messieurs les conseillers municipaux, des habitants de Mars-la-Tour et de l’œuvre de Mars-la-Tour

PRIEZ DIEU POUR LUI !

On se réunira devant le musée militaire 

Conformément au désir suprême du vénéré défunt, prière de n’apporter ni fleurs ni couronnes 

Les nombreux amis et admirateurs de M. le chanoine Faller qui par oubli, n’auraient pas été prévenus personnellement sont priés de considérer le présent avis comme une invitation à se rendre aux funérailles 


21/09/2024

L'anniversaire de la bataille de Mars-La-Tour (partie 2)

L’éclair de l’Est du 16 août 1910. 

MARS-LA-TOUR 
Son Curé -- Son Eglise -- Son Musée -- Son Monument 
(16 août 1870- 16 août 1910)

Quarante ans déjà ! Quarante ans que les Prussiens, comme on disait alors, nous ont envahi ! Quarante ans que, dans les plaines de Gravelotte et de Mars-la-Tour, se livrait cette bataille de géants où, par la vertu de nos soldats, la France était sauvée ; où, par l’incapacité de Bazaine, la patrie fut livrée. Et, depuis invengés, nos morts dorment sous ces champs tragiques, où un prêtre, une église, un monument entretiennent pieusement leur glorieuse mémoire. Aujourd'hui même, c’est eux encore eux que la France honorera en accrochant sur la poitrine de M. l’abbé Faller, le vaillant curé de Mars-la-Tour, l’étoile des braves. Au moment, où le général Couturier un survivant de la grande guerre, épinglera, sur la soutane couleur de deuil, de l’abbé Faller, le ruban couleur de sang, c’est à la France, c’est à ses enfants qui, il y a quarante ans, donnaient allègrement leurs vies pour elle qu’iront les pensées des deux héros de la cérémonie, c’est pour eux que battront leurs deux nobles cœurs. 


Depuis trente-cinq ans, en effet, qu’il est curé de Mars-la-Tour, M. l’abbé Faller a employé tous les instants où le soin des malheureux et ses devoirs de curé ne retenaient pas sa charité et sa piété, à rendre aux soldats français morts en 1870 les pieux hommages qu’un pays doit à ceux qui se sont sacrifiés pour lui. 



L’église à la tour guerrière,, il l’a rétablie et restaurée et en même temps que l’église chrétienne, il en a fait un temple national tout consacré au souvenir des victimes. «Nos glorieux défunts attendent de vous une prière, un souvenir » ; ainsi s’exprime une inscription gravée en lettres d’or sur les murs de l'église, tapissée sur toutes ses faces d’innombrables plaques de marbre où la piété des familles a voulu entretenir la mémoire des douloureux vaincus.



A côté de l’église, qui ne pouvait recevoir les innombrables reliques recueillies sur le champ de bataille immense, M. le curé Faller a édifié le musée où tous les vestiges du terrible duel en racontent les péripéties. Tel képi a été relevé au ravin de la Cuve ; ce sabre provient du plateau de Bruville ; à côté est suspendue une épaulette ramassée à Amanvillers ; voici un tambour trouvé dans un champ de Gravelotte. Et ainsi de suite défilent devant les yeux toutes les stations du pénible calvaire, tous les corps de troupes qui les ont gravies et qui y sont tombés. 


Et plus loin, un peu en dehors du village, se dresse le monument commémoratif où Bogino, avec un talent qu’exaltait le patriotisme, a représenté la France, au visage empreint d’une mâle tristesse, soutenant d’un bras le soldat qui succombe sous la balle ennemie et couronnant sa tête des lauriers héroïques.

En ce 16 août 1910, nous irons commémorer ce quarantième anniversaire; quand nous aurons prié pour nos morts et pour notre patrie quand nous aurons entendu d’éloquents orateurs glorifier les vertus des premiers et affirmer celles de leurs descendants, nous nous approcherons de la frontière qui sera gardée par les gendarmes allemands. Là, nous entendrons de plus près les sifflements de rage des reptiles de la presse allemande et nous y puiserons un nouvel aliment à nos imprescriptibles espoirs. 



20/09/2024

L'anniversaire de la bataille de Mars-La-Tour (partie 1)


L’est républicain du 18 aout 1889.

L'anniversaire de la terrible bataille de Mars-la-Tour prend la proportion d'un véritable pèlerinage national. Disons à ce propos que la compagnie des chemins de fer de l'Est qui, hier, ne comptait pas sur une telle affluence de voyageurs, ferait peut-être bien, l'an prochain, d'organiser un train spécial.
A 9 heures 1/2. le train filant sur Pont-à-Mousson avait déjà ses wagons quasi-pleins au départ de Nancy. Et comme on a embarqué du monde partout : à Dieulouard, à Pont-à Mousson, à Vandières, à Onville, à Arnaville, nous sommes arrivés à Mars-la-Tour entassés comme des harengs. Avec cela, les nuages s'étaient dissipés, le temps était chaud et lourd.
Mais bast! souffrir pour la patrie c'est encore du bonheur. 
Dès que le train entre en gare, il est salué par l'excellente fanfare du 1er bataillon de chasseurs à pied, venue de Verdun. Le maire de Mars-la-Tour et son adjoint, M. Vigel se tiennent sur le quai, accompagnas de quatre 
jeunes filles de Mars-la-Tour : MMlles Collinet soeurs, Lescal et Drion qui ont l'air tout brave avec la large écharpe tricolore en sautoir. 
En un instant le quai est noir de monde.  Non, on ne s'imagine pas ce que les vieux wagons de l'Est peuvent contenir de gens ou plutôt la compagnie ne le sait que trop.
Voici M. Noblot, député, M. Berger, ancien sous-préfet de Briey, le général De Geslin, conseiller général, puis une quantité innombrable d'officiers, sous officiers et soldats ; la garnison de Toul est largement représentée ; beaucoup de militaires du 146e. 
L'Association fraternelle des anciens sous-officiers et soldats de Meurthe-et-Moselle compte aussi de très nombreux délégués autour de son drapeau. 
Mais le service religieux était annoncé pour midi et déjà il est près d'une heure. Il faut cependant bien attendre le train qui, par Conflans, amène les patriotes pèlerins de Verdun, de Briey et de Montmédy. 
Le voici. Il est encore plus rempli que le nôtre. Il parait qu'à Conflans on ne savait plus comment loger les voyageurs. M. le député Mézières, M. le général Edon, sous-gouverneur de Verdun, M. Giraud, sous-préfet de Briey,  MM Comon, conseiller général , Lebrun, conseiller général et maire de Briey débarquent. En route! La fanfare prend la tète, On se dirige vers la mairie où le cortège doit se former. Pour l’instant nous sommes, pêle-mêle. Les officiers territoriaux venus de Briey (44e) sont nombreux. 
Notons au passage le commandant Bourguignon et le capitaine Branchard. Ce dernier porte la couronne offerte par la société de tir des cantons de Briey et Chambley. Les douaniers forment la haie.  
La grand'rue du village a tout l'aspect d'un campement. Ce ne sont que charrettes villageoises, la plupart venues du pays annexé. La foule grossit de minute en minute. 

A l'église - Bousculade 

On ne s’arrête à la mairie que quelques instants. Deux jeune filles ravissantes dans leur frais costumes: Mlle Munier en Lorraine et Mlle Thiébaut en Alsacienne, ouvrent la marche, les mains enlacées ; jamais on ne rêva couple plus gracieux. 
On opère un à droite pour enfiler l'avenue au fond de laquelle est l'église.
Malheureusement, le service d'ordre est insuffisant, absolument insuffisant. Nous n'en rendons responsables, ni M. le capitaine de gendarmerie Tannary , de Lunéville, chargé du service, ni son adjoint, M. le maréchal des logis Etienne, de Conflans. Mais, de toute nécessité, il faut que l'an prochain les approches de l'église soient dégagées.
Il faut un piquet d'infanterie. Les douaniers sont des soldats d'élite, mais dame, mariés tous dans le pays, il leur est difficile de ne pas transiger avec la consigne. Tout le monde les connaît, ils tolèrent qu'une personne se glisse, puis deux, puis trois, finalement, ils sont débordés. Une trombe énorme roule vers l'église, dont l'entrée est défendue par deux gendarmes seulement.
Ces braves militaires essaient bien de couper la queue du cortège, mais que faire contre mille ? 
Une effroyable poussée se produit. Les gamins(cet âge est sans pitié), piquent des têtes dans la foule. Le brigadier des douanes tire solidement les oreilles à un des plus bruyants, cet exemple salutaire calme les autres. 
Cependant, resserrés que nous sommes dans un étroit espace, pris entre des murs, nous sommes bousculés que nous avons sûrement gagné le paradis. Je ne sais comment il ne s'est pas produit d'accident grave.
Plusieurs dames sont littéralement étouffées. Le capitaine Tannary arrive et essaye de remettre un peu d'ordre. Il fait entrer d'àbord les officiers, puis les sous-officiers et les délégations. Après, pénètre qui peut : l'église est remplie en un instant. La chaleur devient 
rapidement étouffante.

La messe de Requiem est chantée par M. l'abbé Dedun, curé d'Essey-les-Nancy, qui est une basse taille absolument remarquable. M. le curé-de Chambley officie.  
Le service dure une heure. Nous sommes là quelques centaines de bipèdes que la sueur aveugle. Bataille au dehors, fournaise au dedans, il n'en faut pas plus pour mettre un homme en nage. Dans leurs dolmans, MM. les officiers cuisent littéralement. J'admire deux jeunes gens du Sport mussipontain qui, durant toute la messe se tiennent debout et immobiles, tenant une couronne. D'autres couronnes sont amoncelées sur le cénotaphe dressé devant l'autel. Nous notons :  
Couronne offerte par M, Sanson, au nom des Messins réfugiés à Toul ; une aux braves de 1870, la Moselle; une société nationale: les Français; société de tir des cantons de Briey et Chambley, 44e territorial portée par deux capitaines; une: peloton d'instruction du 148e d'infanterie (Verdun), portant en exergue : A nos ainés; l'Association fraternelle des anciens sous officiers et soldats de Nancy ; une offerte par le sport mussipontain ; société nationale du souvenir français (Paris); au comandant Bourgeois; une offerte par M.Battier de Lyon  et, marchant en tète : les anciens combattants de Gravelotte à leurs frères d'armes (Paris). 
Deux jeunes filles d'Amiens, Mlles Marie et Lucie Bacheski interprètent ensuite avec un réel talent un morceau religieux. L'orgue est tenu par Mme Booz, femme du capitaine des douanes, 
Quelques personnes prennent le parti de sortir, sous la conduite du capitaine Laforge du 146e, un ancien du 16 août 870, qui , avec une souplesse étonnante se faufile et nous ouvre passage. Enfin nous sommes dehors, on respire ! 

Au monument 

Le village est tout bourdonnant. Nos jolies quêteuses, l'Alsace et la Lorraine, trottinent gentiment, allant de groupes en groupes. Nous entrons un instant au Lion d'or. Tout est  plein. Enfin, nous parvenons tant bien que mal dans une chambre à coucher transformée pour la circonstance en salle à manger. Nous trouvons là une famille annexée : quinze personnes autour d'une grande table. Lorsque nous sortons, une dame se lève et nous crie : « Venez nous chercher bientôt! » — Pauvres  frères, pauvres amis !
Nous nous dirigeons vers le monument. Il est superbe ce bronze du patriote sculpteur : Bogino, mais l'emplacement où il est érigé est encore plus remarquable. De là, nous découvrons cette grande plaine à jamais célèbre de Mars-la Tour. Saint-Marcel, Rezonville, Vionville, Gravelotte, le voilà ce champ de bataille du 16 août, coupé en deux hélas par la frontière.
Déjà, des milliers de personnes attendent près du monument. Nous entendons au loin la fanfare de chasseurs : le cortège sort donc de l'église. Bientôt on le voit déroulant ses anneaux entre les jardins et les champs. Couronnes, drapeaux et uniformes jettent une note vive dans cette masse. Alphonse Daudet a bien raison : la couleur est du nord. Les paysages du midi endormis sous un soleil de plomb, ne connaissent pas les nuances si variées que nous distinguons ici. 
Le clergé fait deux fois la tour du monument pour le bénir. Cette fois, le service  d'ordre est mieux exécuté il est vrai qu’il est plus facile. 
On dépose ou l’on accroche les couronnes. 
M. Giraud, sous-préfet prononce le discours suivant : 
« C’est le passé avec ses douleurs et ses gloires, que chaque année nous venons évoquer au pied de ce monument. C’est notre confiance en l’avenir, c’est notre foi impérissable dans de la France que nous affirmons, tous confondus ici dans un même sentiment de patriotisme, 
« Ceux qui dorment sous ce tombeau ont fait leur devoir. Ils étaient de ces braves sans peur ni reproche, élite de cette armée qui, tant de fois et si vaillamment, en Crimée, en Italie et au Mexique, avait porté le drapeau victorieux de la France. Au premier appel de la patrie, ils étaient accourus de nouveau en ces champs d'Alsace et de Lorraine, et c'est ici, dans ces plaines qui s'étendent sous nos yeux et que plus tard, hélas! la frontière nouvelle devait couper, qu'ils ont lutté jusqu'au dernier souffle pour l'honneur et la défense de la patrie. «Parmi vous aujourd'hui je vois des survivants de ces mêlées sanglantes, témoins glorieux qui attestent ici la valeur et l'héroïsme de leurs frères d'armes. Eux aussi ont leur part dans notre admiration, car l'honneur et la gloire ne vont pas seulement à ceux qui réussissent, mais aussi à ceux qui luttent et ne désespèrent pas. 
« Messieurs, au milieu de ses désastres, la France n'a jamais désespéré. Jusqu'à la fin elle a résisté, soutenue par sa confiance inébranlable dans ses enfants. Son histoire, vous le savez, est pleine de ces vicissitudes, mais toujours, vous le savez aussi, elle a triomphé de la fortune. 
« Dix neuf ans se sont écoulés depuis ces événements. Sous l'action sans relâche du gouvernement de la République, pour lequel 
j'ai bien le droit de revendiquer cet honneur, le pays, tout entier uni dans son œuvre, s'est relevé par le travail et l'opiniâtre volonté, il a pris dans la grandeur de sa tâche le sentiment d'une force nouvelle et, sûr de lui-même, sûr de son incomparable armée, il sait désormais qu'il n'a rien à craindre, que sa frontière est gardée. 
« Messieurs, nous ne serions pas dignes d'honorer ceux qui sont tombés si vaillamment sur ces champs de bataille, si nous n'étions prêts, nous aussi, à un pareil dévouement. Certes, par la sagesse et la raison dont elle adonné tant de preuves, la France a montré sa volonté ferme et constante de ne rien sacrifier au hasard et aux aventures. Mais il est nécessaire, il est indispensable que devant les éventualités, quelles qu'elles soient, qui pourraient survenir, une seule âme, une seule pensée anime tous les défenseurs de la patrie. 
C'est donc à l'union, à l'union intime et féconde de tous les Français que je vous convie, car elle seule peut donner le succès.  «Serrons nous plus que jamais, messieurs, autour du drapeau, et d'un seul cœur poussons ensemble le même cri : 
«Vive la France»
(Nombreux cris : Vive la France ! Vive l'armée) 
M. Mézières  prend ensuite la parole. 
Il est deux heures et quart. Nous avons bien gagné le droit de manger un morceau. 
Le retour a cependant lieu en très bon ordre. Comme au départ : MMlles Munier et Thiébaut ouvrent la marche. 
Parvenue à l'entrée du village la foule s’égrène, les plus pressés courent à la gare reprendre le train pour Nancy. 
Le maire avait invité le général et quelques autres personnes à un déjeuner servi  et fort bien servi ma foi, dans la grande salle de la mairie, par Mme Barthélémy. 
Au dessert, la fanfare des chasseurs vient jouer sous les fenêtres. M. le général Edon fait demander le chef de musique, M. Posty, pour le complimenter. Tout ému, ce brave militaire trinque avec son chef. 
Voici la liste des morceaux joués par la fanfare : 
L’artilleur (Leroux); salut à la France; plusieurs marches funèbres, entr'autres celle de Chopin; Mémento et Lacrymn; le Chant des Muses (Labol), et Regina, du même compositeur. 
Allons, le coup de l'étrier, et en route pour la gare! Nous allons reconduire au train de Briey, M. Mézières, le général Edon, MM Giraud, Lebrun, Comon, etc. 
Mais on avance lentement. A chaque minute M. Mézières est arrêté. Il connaît tant de monde et si il est si affable, trouvant un mot pour chacun, semant un conseil par ci, un avis par là. 
Les talus de la gare disparaissent sous la masse du public. L'hôtel et le café Dessort donne l’hospitalité à des centaines de voyageurs. Enfin, vers cinq heures, le train réussit tout de même à s’ébranler. On est entassé tout comme ce matin, mais maintenant on commence à s'y faire : question d'habitude. 
Malgré cet allégement. Mars-la-Tour conserve jusqu’au soir son animation.  Par intervalles, on entend une boîte éclater : Pan! Pan !
Les annexés font leurs préparatifs. On sort les chevaux des écuries, On se crie Au revoir ! A l'an prochain ! Songez à nous.
Quelques Nancéiens, membres de l’association des anciens sous- officiers et soldats, sont allés visiter le champ de bataille. Peu à peu, entraînés par les souvenirs, ils dépassent la frontière et arrivent à Vionville.
«Sapristi, dit l’un, mais nous sommes en Prusse. Vite cachons nos insignes tricolores»
Une auberge est là, à deux pas. Nos aventureux concitoyens entrent et tombent en plein sur toute une brigade de gendarmes. Ceux-ci ne sont pas très longs à instituer une enquête en règle. 
Notre voisin, M. X. répond avec une assurance menteuse, d’autant plus gêné que sa cocarde est cousue à son chapeau, pas moyen de la retirer. Cependant, les gendarmes allemands furent assez conciliants (une fois n’est pas coutume). Ils tolèrent que nos concitoyens consomment une chope avant de s’en aller. 

Chez M. le curé Faller.
 
Vers sept heures, M. le curé Faller, dont on ne saurait trop louer l'infatigable dévouement et l'esprit d'initiative, réunissait autour de sa table la plupart des curés du canton de Chambley et quelques journalistes : MM. Chotel, du Journal de la Meurthe et des Vosges, Gérard, de la Dépêche, et Léon Goulette. 
Repas joyeux. Ces messieurs du clergé ont beaucoup d'esprit, et du meilleur. Nous autres mécréants, nous convînmes de bonne grâce que la religion a du bon, évidemment ! Au surplus nous n'avons jamais dit le contraire. Qu'est ce que nous demandons, nous? que le curé reste chez lui. Tant qu'il ne franchit pas les bornes de son ministère, le prêtre est respectable, mais s'il se jette dans la lutte politique, tant pis s'il encaisse des horions.

Le retour.

A huit heures et demie, le train de Nancy est signalé. Une dernière poignée de main aux braves habitants de Mars-la-Tour et à l'an prochain ! 
Le commissaire spécial de Pagny-sur-Moselle a envoyé la dépêche suivante à la Sûreté générale et au préfet de Nancy. « J'apprends qu'un journal de Nancy, dans son édition du soir, annonce que j'ai arrêté et remis dans le train de Metz, trois agents de police allemands. Cette nouvelle, qui a été également télégraphiée à des journaux de Paris est complètement fausse. Il n'y a eu ni arrestation, ni incident. »