29/09/2025

Les martyrs de Vandières 2 - Lettre du Docteur Maillard


L’est républicain du 30 octobre 1919. 

Qu'on extrade l'assassin de Bayonville. C'est le commandant von Kayser 


C'est le commandant allemand von Kayser, de la commandanture de Pagny-sur-Moselle, qui a fait arrêter l'abbé Mamias, curé de Vandières, MM. Fayon et Durand, deux enfants de l’assistance publique, âgés de 19 ans, et un enfant de 15 ans, le jeune Dauzat, de Villers-sous-Prény. 
Les malheureux, comme nous l'avons dit, furent emmenés en voiture sur la route d'Arnaville à Bayonville et furent fusillés, dans un champ en bordure de la route, puis inhumés sur place. Des soldats du peloton d'exécution se vantèrent d'avoir écrasé à coups de bottes la tête du vénérable abbé et d'avoir dépensé l'argent trouvé sur les victimes. Une forte somme fut volée sur l'abbé. 

Le 7 février 1919, le docteur Maillard a adressé la lettre suivante à M. le préfet de Meurthe-et-Moselle : 

Monsieur le Préfet, 
J'ai l'honneur de porter à votre connaissance les faits suivants qui m'ont été rapportés lors de ma récente visite à Pagny-sur-Moselle, par des habitants qui y sont restés avec les Allemands, jusqu'en septembre 1918. A cette date, ils avaient été évacués, en Belgique, à la suite de bombardements des alliés. 
Au commencement de septembre 1914, le commandant allemand von Kayser, du 65ème régiment d'infanterie, dirigeait la commandanture des localités de Pagny-sur-Moselle, Vandières , Norroy et Arnaville, et a occupé ce poste jusqu'en janvier 1915. 
Après avoir fait déménager les maisons abandonnées par leurs propriétaires, et transporter leurs mobiliers en Allemagne, sans oublier la mienne, s'être livré à des orgies avec ses officiers en vidant les caves, ce soudard appliqua le régime de la terreur aux malheureux habitants. 
Pendant chaque bombardement de la gare de Pagny, des habitants désignés chaque matin, le maire en tête, devaient aller monter dans des wagons disposés sur une voie spéciale, et y passer 2 ou 3 heures. Chaque localité devait envoyer journellement trois otages qui étaient enfermés à la mairie de Pagny, et menacés d'être fusillés, Il ne s'adressait jamais aux autorités locales que le revolver à la main.
L'exhumation de ces malheureux a eu lieu sur le territoire de Bayonville, en présence des parents et de M. Bégrund, adjoint au maire. L'identification a été faite par le médecin-major de 1ère classe Maillard, de Pagny-sur-Moselle, qui a remis les restes des six victimes aux familles. 

Il fit fusiller sur la route d'Arnaville à Bayonville, trois habitants de Vandières : 

l'abbé Mamias, MM. Durand et Fayon, et deux enfants de l'assistance publique. Ils sont enterrés dans un champ en bordure de la route nationale. 

Avant son arrivée à Pagny, en août 1914, c'est lui également qui fit fusiller à Jarny, douze habitants, le maire et le curé Vouaux. 

Je viens vous demander, monsieur le préfet, de bien vouloir communiquer à la commission d'enquête, chargée de relever les crimes des Allemands en pays envahis, le nom de ce sinistre bandit, le commandant Von Kayser, du 65ème régiment d'infanterie, et de faire réclamer son extradition par la commission d'armistice qui le livrera à la justice française, en vue de l'expiation de ses crimes. 


Dr MAILLARD. 



Paul Maillard (1870~Arnaville - 1956~Pagny-sur-Moselle) médecin major de 1ère classe, 2 citations lors de la première guerre mondiale, décoré de la croix de guerre et chevalier de la légion d’honneur en 1919. 


Ce jour là. Il y a 111 ans mourraient les martyrs de Vandières - 1 L'exhumation des corps

 


L’est républicain du 29 octobre 1919

Les martyrs de Vandières - Ils y ont été inhumés mardi au milieu d'une grande émotion.  

Le 21 septembre 1914, au matin, M. l'abbé Jules Mamias, curé de Vandières, et plusieurs de ses concitoyens, furent brutalement saisis par les Allemande et conduis du côte de Bayonville. Là, dans un champ, à cinq mètres de la route, on leur fit creuser leurs fosses et on les fusilla.  
Lundi, on a exhumé les corps de M. Mamias, de M. Fayon, âgé d'une soixantaine d'années, de deux jeunes gens de vingt ans, Perillat et Poussardin, et on les a ramenés à Vandières pour y être inhumés. 
Cependant le corps d'un autre malheureux, M. Durand, originaire, lui aussi, de Vandières, était laissé à Bayonville, tandis qu’on ramenait, à Villers-sous-Prény la dernière victime de cette journée terrible, un enfant de quinze ans, le jeune Daussart.  



La translation au cimetière de Vandières des restes des infortunés a eu lieu mardi matin, sous un ciel gris et morne, un de ces vrais temps de Toussaint qui donnent à notre Lorraine, tant d'austère mélancolie. 
Vandières était, on le sait, un village de l'extrême front ; il a été cruellement abîmé. Nombreuses sont encore ses demeures qui ne sont plus que des ruines informes. 
Cependant on y travaille avec une ardeur admirable dans une volonté de revivre qui ne recule devant aucun obstacle. 
Lorsque nous arrivons à Vandières par le premier train du matin, des prisonniers allemands vaquent, ça et là, au déblaiement, sous la surveillance de tirailleurs algériens ; d'autres conduisent de hauts véhicules attelés de trois mulets de front.

A l'église 
L'église de Vandières. qui s'élève au milieu de l'ancien cimetière et qui jadis était riche et coquette, montre maintenant l’affreuse tristesse de ces fenêtres béantes. 
Trois bières ont été dressées. L'une dans l’avant-choeur, recouvre le corps de l’abbé Mamias, et porte le calice, la barrette et l'étole, signe de pouvoir sous les armes. 
Quelques bouquets ont été offerts aux pauvres victimes.
Tout le village est rassemblé, et des grands mères en noir ont les larmes aux yeux.
La plupart des prêtres du doyenné ont pris place autour de l’autel, et la haute t le de M. le vicaire général Barbier s'incline aux instants liturgiques. 
Avant l’absoute, M. le chanoine Zinsmeister, curé-doyen de Saint Martin de Pont-à-Mousson, monte en chaire ; il retrace la vie et les mérites de M. l’abbé Mamias. 
Celui-ci avait été 16 ans économe au petit  séminaire de Pont-à-Mousson, d'où il fut nommé à Vandières en 1907, un ecclésiastique d'une grande piété, sage et érudit. Il succédait à Vandières à M. l'abbé Peignier, lui même successeur de M. l'abbé Maitre-d'Hôtel, qui fut pendant 32 ans desservant de la paroisse. 
L'orateur sacré a ensuite commenté la célèbre parole du Tortullien : « Le sang  des martyrs est de la semence de chrétiens » 



Au cimetière 
Puis le cortège sa forme, pour se rendre au cimetière situé à quelques centaines de mètres de l'église. 
Il faisait froid, malgré de timides rayons de soleil. Les cercueils étaient portés a bras, sur des brancards improvisés, par des hommes du pays. 
On s’en fut lentement aux accents du « Miserere ». Vandières laissait voir ses pans de murs roussis par la mitraille. On se sentait profondément étreint devant tant de  désolation et tant de deuil. 
Enfin, on arriva à la nécropole, en pleins champs, au centre d'une âpre terre de bataille. Il s'y trouve de multiples sépultures  allemandes. 
On bénit une dernière fois les restes de M. l'abbé Jules Mamias, ceux de ses humbles compagnons de supplice, et M. Bertrand-GiIlet, ancien conseiller d’arrondissement prononça un discours. 
On réunit encore au curé fusillé de Vandières, les ossements de ses prédécesseurs, MM. Peignier et Maître-d'Hôtel. 
Dans le village, qui gardera pieusement le souvenir de ses otages morts pour la France, les prisonniers allemands prenaient maintenant leur repas dans leur cantonnement, derrière les fils de fer. 
L'un d’entre eux, élégant, sans doute quelque scribe, regardait du premier étage passer la foule. 
Et les braves gens de Vandières, après avoir déposé leurs habits de cérémonie se disposaient déjà à continuer leur rude besogne. 
Il y a encore tant à faire dans cas malheureux pays saturés de projectiles ! Tout le monde est à peu près rentré, mais on craint pour l'hiver, dont on sent déjà les rigoureux prodromes. 
Ne nous plaignons pas à Nancy en comparant notre sort à celui de nos amis des pays libérés et multiplions nos efforts à leur égard. Ils le méritent.  


25/09/2025

Ce jour là. Il y a 110 ans mourrait Émile Ernest Mathis

Rue Magot - Ferme Brouant la plus haute à gauche

Qui était Émile Ernest Mathis ? 

Il a certainement été le garçon le plus haï des habitants de Vandières pendant plusieurs mois voire plusieurs années. 


Il est né le 25 juin 1894 au domicile de ses parents, rue du cheval blanc à Nancy.

Son père, Charles est un petit malfaiteur, voleur,  trafiquant et braconnier. 

Il est connu des services de police depuis plusieurs années quand lui est retiré l’autorité parentale sur ses 7 enfants. C’est malheureusement trop tard car ses trois fils aînés, Charles, Jules François et Alexandre Léon, ont déjà suivi ses pas. Charles Mathis fils, 37 ans, titulaire de 26 condamnations finira par tuer un militaire polonais attablé à une terrasse de la rue Lafayette à Nancy. 

Charles Mathis père mourut seul en 1911, âgé de 52 ans, à Nancy à son domicile rue de la hache.


Sa mère, femme au foyer gère difficilement le quotidien de cette famille et abuse de l’alcool. Elle séjourne régulièrement en prison. 

Elle ne sait pas grand choses de la vie d’Emile quand elle est interrogée à ce propos en 1912.

Elle meurt à Nancy en 1938 à l’âge de 80 ans. 

Les journaux de l’époque relatent régulièrement les forfaits de la famille Mathis. 


Émile est placé dès l’âge de deux ans dans différentes familles mais c’est à l’âge de 17 ans que son parcours chaotique le mène à Vandières.  


Il est placé comme garçon de ferme chez Jules Édouard Brouant, rue Magot (actuelle rue Saint Jean) en novembre 1911. 

Jules Édouard et sa femme Marie Blaisine Appoline Thiery logent leurs domestiques et Thérèse Rouyer, âgée de 80 ans. Thérèse, veuve de Pierre Thiéry depuis 1900, est la mère de Marie Blaisine Appoline. 


Le 11 janvier 1912, profitant de l’absence du couple Brouant en visite à Bezaumont, Émile Mathis vide plusieurs bouteilles de vin. Il lui vient alors l’idée de voler de l’argent dans le coffre fort de son employeur. Il déplace le coffre de la maison vers la grange et essaye de l’ouvrir à coups de hache. Malheureusement pour lui le coffre résiste et il n’arrive qu’à extraire que quelques pièces d’or pour un montant de 500 francs. 

Il est surpris par madame Thiéry attirée par le bruit et la frappe à plusieurs reprises la tuant à coups de talons dans la tête.

Il s’enfuit très rapidement vers Pont-à-Mousson en suivant les vignes mais est remarqué par plusieurs habitants de Vandières.

Le corps est trouvé par madame Constance Honnorat, voisine des Brouant et l’alerte est vite donnée. 

Émile est finalement arrêté à Pont-à-Mousson alors qu’il essayait d’acheter des habits au magasin Au bon diable, situé sur la place Duroc. 

Il est placé en prison en attendant l’avancée de l’enquête après qu’il ait reconnu les faits. Il est extrait de la prison le lendemain du meurtre pour être amené à Vandières. Le juge Renaudin lui demande de réitérer ses gestes et lui pose de nombreuses questions. l'enquête se poursuit avec l'audition des temoins.


Le 5 juin 1912 commence son procès à Nancy. Après avoir écouté l’accusé et les témoins, le président écoute le réquisitoire de l’avocat général et la plaidoirie de Maître Jacob, avocat de la défense .

Après 25 minutes de délibération, Émile Mathis est reconnu coupable mais étant mineur et ayant agit sans discernement il est envoyé à la colonie correctionnelle d’Eysses dans le Lot et Garonne. 


Il n'en sort que pour effectuer son service militaire au 146ème régiment d’infanterie, caserne Maréchal Ney à Toul. Il s’y trouve toujours quand est décrété la mobilisation générale le 2 août 1914. 


146ème RI à Toul en 1914

Il prends part aux combats des Flandres, de l’Artois et de Champagne.

Une seconde bataille de Champagne est décidée par Joffre avec l’espoir de relancer la guerre de mouvement. 

Après plusieurs jours de tirs d’artillerie, l’attaque commence le 25 septembre 1915 à 9h15. 


Émile Ernest Mathis est tué a l’ennemi lors de l’attaque pour la reprise du bois de la demi lune. Il est alors sergent à la 7ème compagnie. Le régiment perds ce jour là 25 officiers et 528 hommes tués, blessés ou disparus.

Ferme de Maisons en Champagne pendant et après la guerre

Il est déclaré mort pour la France le 25 septembre 1915 à 16 heures à Maisons de Champagne par acte du 16 octobre 1915 fait à Dommartin-sur-Yonne (Marne) par l’officier d'état civil d’après les déclarations du caporal Auguste Coton et du soldat Léon Simoneau de la 7ème compagnie. 


C’est peut-être la seule fois dans sa courte vie où il a réussi à s’intégrer à un système social et à gravir des échelons lui permettant d’être nommé sergent.

Les habitants de Vandières n’ont certainement jamais su que celui qui a été le tueur de leur village avait donné sa vie pour libérer le sol français de l’occupant et leur permettre de retrouver leur liberté. 


Cimetière provisoire du Ravin de Marson où Emile Mathis a dù être enterré



20/09/2025

Incident dans le train


L’est républicain du 29 juin 1909.

Incident dans le train.

Dimanche soir, le mécanicien du train 12–18 en station à la gare de Vandières, voulant remettre son train en marche, s’aperçu que ses freins restaient bloqués.
Après une minutieuse visite des wagons, il découvrit que l’un d’eux, un wagon allemand, avait son signal d’alarme tiré. 
Le compartiment ouvert, M.  Dussouillez, chef de gare, trouvait étendue sur la banquette une femme ayant perdu toute connaissance. Un voyageur qui s’est trouvé dans ce compartiment avait donné l’alarme.
M.  Dussouillez prodigua à la malade les premiers soins et la ranima à l’aide de cordiaux qu’il était allé chercher chez lui.
La malade remise de son indisposition passagère, le train reprenait sa marche avec quelques minutes de retard seulement. 
François Victor Dussouillez est né le 4 octobre 1858 à Mignovillard (Jura). 
Il est employé à la compagnie de l’est à Vittel (Vosges) quand il se marie avec Elisabeth Philomène Olivier, le 1er septembre 1888 à Ney (Jura). La mariée est née le 15 février 1858 à Loulle (Jura).
Il exerce à Luneville avant de venir à Vandières vers 1908. 
La famille habite à la gare.
Le couple a une seule fille, Eugènie Victorine née en 1893 à Is-sur-Tille (Côte d’Or). 
Elle se marie avec Pierre Magnin, négociant, le 4 mars 1919 à Vandières. 
En 1921, les deux familles habitent rue des fossés à Pont-à-Mousson. 
François Victor meurt à son domicile le 9 février 1928 à l’âge de 69 ans. 



16/09/2025

Nos villages Lorrains Nº181

 

SOMMAIRE DU N° 181

COUVERTURE AVANT: PAGNY-SUR-MOSELLE - Le passeur sur la Moselle

COUVERTURE ARRIERE : VILLERS-SOUS-PRENY - Fontaine, rue du Bois-le-Prêtre


PAGNY-SUR-MOSELLE

181/03 L'ancien député Louis Rehm

181/20 À propos du ministère de l'abbé Deviot

181/25 Conséquences du rude hiver de 1893

181/34 La mobilisation générale


PRÉNY

181/12  Changement des gardes champêtres en 1900

181/19 Les fleurs de lys du corps de garde

181/25 Réfugiés en Haute-Garonne


ARNAVILLE

181/32 La dernière journée du capitaine


BAYONVILLE

181/25 Retour au village en 1919

181/30 Mort à Haumont


ONVILLE

181/09 Vente d'antiquités en 1891

181/25 Exploit de chasse


VANDELAINVILLE

181/04 Un accident à la carrière

181/05 Nicolas Hubert Labriet, maire 1849-1862


VANDIÈRES

181/10 Les vélocipédistes et le tambour

181/14 Louis Morel

181/26 Un mutilé médaillé

181/28 Un bulletin de la Grande guerre


VILLERS-SOUS-PRENY

181/35 Le Bon Grain 1907


ARRY

181/08 Mort d'une mendiante en 1825


ABONNEMENTS: Chèque postal ou bancaire libellé et adressé à MAISON POUR TOUS -

54530 Pagny-sur-Moselle

TARIFS: 5 euros le numéro. 36 euros par abonnement postal, 20 euros par distributeurs ou dépositaires

FONDATEUR/ ÉDITEUR : « MAISON POUR TOUS » 11 E Rue de la Victoire 54530 Pagny-sur-Moselle

IMPRIMEUR : Régie industrielle des établissements pénitentiaires - 77000 Melun

DEPOT LEGAL : N° 435 - 4° trimestre 2025 - ISSN 1288-2348

13/09/2025

Les expulés de Metz




Le journal de Cette du 23 août 1914.

De Metz à Nancy.

Dans l’est républicain de Nancy que dirige avec autorité notre bon confrère René Mercier, autrefois rédacteur de la dépêche à Montpellier nous trouvons cet intéressant article de reportage qui précise certains fait vécu par les expulsés de Metz :
1200 étrangers, expulsé de Metz par les Allemands, sont arrivés vendredi matin à Nancy, après trois journées et demi de pérégrinations dont la douleur ne fut compensée que par l’accueil reçu à partir de la frontière française.
Français, belges, russes ou polonais, tous sont partis à la hâte, en portant seulement avec eux quelques vêtements de rechange, en un ballot ou dans une valise, et avec le seul argent qu’il pouvait avoir à la maison. C’est en vain, en effet, qu’on pouvait avoir un dépôt dans les banques. Les banques avaient fermé leurs guichets, avant la déclaration officielle de la guerre. Aussi, la plupart de ces malheureuses familles sont-elles dans le plus complet dénuement.
Nous avons pu nous entretenir assez longuement avec un belge, qui cherchait à Nancy l’adresse de son consul, et voici son histoire :
C’est, au surplus, celle de tous ses compagnons.

Des provisions.
Il n’y a plus de 13 ans, nous dit-il, que je suis établi à Metz, où je travaillais, depuis 10 ans, dans la même maison. J’étais coupeur dans une grande chemiserie. J’avais de beaux appointements, 300 francs par mois, et j’avais pu acheter un jardin et une petite maison à Plantières. 
Il m’a fallu laisser brusquement tout cela et la banque m’a refusé un dépôt de 700 marks.
Vous n’aviez donc pas pu prendre vos précautions ?.
Que voulez-vous ? On espérait toujours que ça s’arrangerait. À la fin cependant, on devenait inquiet. Ce fut de l’anxiété lorsqu’on nous prévint qu’il fallait faire des provisions pour six mois. Pour mon compte j’ai acheté des conserves de toutes sortes, de quoi vivre au moins trois mois. j’en aurais peut-être acheté encore davantage, mais tout augmentait dans des proportions exorbitantes, et nous ne pouvions déjà plus retirer aucun argent.
Toutes ces provisions seront maintenant perdues ?
À non! Avant de partir, j’ai tout distribué à ceux de mes voisins, Lorrains et que je savais français de cœur.

Dans la nuit.
C’est dans la nuit de dimanche à lundi qu’un agent est venu frapper à ma porte. Il est exactement une heure du matin.
Ouvrez, au nom de la loi ! Criait-il. Je descendais en toute hâte, et il m’a remis mon arrêt d’expulsion. Je devais être à la gare au plus tard, à midi et demi, avec tous les miens.
On aurait voulu emporter bien des choses, au moins tout ce que nous avions de plus cher. Mais il nous fallut nous contenter de l’indispensable. Nous avons pris tout simplement un peu de linge et quelques provisions. J’ai deux valises et un baluchon. Son fils, un garçon de 20 ans assiste à l’entretien. Mon fils en prit autant, tandis que ma femme avait assez comme lourd fardeau de notre petit-fils, un bébé qu’on nous a envoyé d’Anvers, et dont le père, mon aîné, a été appelé sous les drapeaux.

Il faut que je me paie.
Alors vous avez un enfant dans l’armée belge ?
J’en ai deux et le troisième que voici va s’engager aussitôt que nous aurons été rapatriés.
Vous allez-vous engager ? Demandons-nous au fils. C’est très bien.
Et le fils de répondre avec un large sourire:  il faut bien que je me paye sur leur peau.
Savez-vous qu’ils se conduisent comme des héros, les Belges ?
À pour sûr ! mais nous avons connu seulement leur succès à Pagny sur Moselle. À Metz, en effet, chaque jour, on annonçait des victoires et lorsque la nouvelle de la prise de Liège fut connue, ce fur des hoch sans fin, des ovations interminables, un vrai délire.

le mensonge allemand.
Il en était de même, bien entendu, chaque fois qu’ils avaient battu ces chiens de français, et je vous assure qu’il y a eu de beaux cris dans les rues, lorsqu’on a apprit que Pont-à-Mousson était brûlée, rasée et qu’ils arrivaient à Nancy !
C’est avec s’ces mensonges qu’on réchauffe le patriotisme.
Et il en a besoin d’être réchauffé, leur patriotisme. Tenez, la semaine dernière, j’avais deux réservistes à loger. C’était deux Westphaliens, ils passaient leur temps à pleurer. En voilà deux qui ne bénisse pas le kaiser. Ils allaient à la guerre avec l’entrain de chien qu’on fouette. Figurez-vous qu’il me faisait pitié et que je les ai consolé en leur disant que les Français ne sont pas des sauvages.

Le départ.
Mais revenons à notre départ. J’arrivais donc, lundi, à la gare de Metz, un peu après-midi. Nous étions là, un milliers et il est arrivait encore. 
On nous parqua dans les salles d’attente, puis on procéda à l’appel. Par paquet de dix, on nous conduisait au compartiment. Un soldat, baïonnette au canon, se plaçait à chaque portière.
On ne vous a pas brutalisé ?
Non les agents ont été corrects, à la condition de ne pas faire appeler deux fois.

De Novéant à Pagny
On alla ainsi, par le train, jusqu’à Novéant. Là, il fallu descendre. Notre troupeau se forma par rangs de quatre et, précédé d’un officier, escorté de fantassins, pris la route d’Arnaville. Là, les prussiens nous laissèrent et firent demi-tour.
Nous savions que nous approchions des avant-postes français. Toute la troupe se transforma à tout hasard en parlementaire, en arborant nos mouchoirs au bout de nos bâtons, de nos cannes ou de nos parapluies.
Nous pensions arriver le soir même a Vandières. Malheureusement on allait pas bien vite, car les meilleurs marcheurs devaient attendre les traînard, les vieux, les femmes et enfants.
On reste donc à Pagny, et, pour mon compte, je fus héberger chez M. Villemin, un brave hôtelier qui nous donna deux lits. Les camarades se répandirent dans le village, où, nous devons le proclamer bien haut, on n’aurait pas mieux reçu des parents.

Quelqu’un trouble la fête. 
On a pris là que les prussiens y avaient poussé des pointes, sans faire de mal, ailleurs qu’aux caves et aux poulaillers. Ils avaient pris aussi huit vaches. Ils étaient en train de se saouler, lorsque des chasseurs français vinrent interrompre la fête en leur mettant la fourchette dans les reins.
Ah ! Ils ont de l’entrain, les vôtres ! On aurait dit que ça les amusait de se battre.
Le lendemain matin, réconfortés autant par tout ce que on voyait, par les bonnes nouvelles, que par un bon repas et une bonne nuit, on se remet en route pour Vandières.

Courage.
On ne trouvait plus les kilomètres longs. À chaque poste français, on nous réconfortait, on nous serrait la main.
Courage ! Courage ! Bientôt vous rentrerez chez vous en maîtres. 
Un adjudant qui avait un numéro de l’est républicain nous donna lecture de la victoire beige devant Liège. Et vous pensez bien que pour mon compte, je pleurais de joie.

À Pont-à-Mousson.
À Pont-à-Mousson, qu’on nous avait dit détruite, le même accueil qu’à Pagny et à Vandières nous attendait. Là, nous montâmes sur des chars et c’est dans un attirail pittoresque, juché au petit bonheur sur des sacs de paille, que l’on arriva à Frouard, d’où le train nous a menés jusqu’ici.

Et Samain ? Et les confrères ?
Avant de quitter Metz, avez-vous appris que Samain avait été fusillé ?
Oui, nous l’avons entendu dire. Une chose est en tout cas certaine, c’est que personne ne l’a revu à Metz.
Et nos confrères des journaux français ?
Monsieur pignon, du Messin, a été arrêté. J’ignore, depuis, quel est son sort.
Monsieur Houppert, doit être aussi coffré en tout cas, il n’a pas reparu à son journal. 
Il y a aussi les frères Bena, qu’on a inquiétés. L’un, l’avocat, a dû verser une caution de 80 000 mark. Son frère, le docteur, doit être toujours en prison.
C’est parce qu’ils appartenait sans doute au souvenir français ?
Non, ou du moins ce ne serait pas seulement pour cela. Les prussiens les ont accusés, en effet, d’avoir empoisonné les eaux !
Les trois couleurs.
Comme notre brave belge exhibe une cocarde tricolore, nous lui demandons en souriant: 
vous n’avez pas arboré ces trois couleurs à Metz ?
Ah non ! Nous les avons acheté en France, le long de la route. Tout le monde en a, les femmes au corsage, les hommes au chapeau. On est pas riche, mais tant pis. Nous étions si heureux, si fiers d’arborer les couleurs française. Ils nous semblait qu’elle nous porterait bonheur, et qu’elle nous mettait en sûreté.
Et maintenant, le plus dur est passé. Encore un jour ou deux, et tous ceux qui ont encore la force de tenir un fusil, s’en iront faire le coup de feu.
Il ne faut pas qu’il en échappe un seul de ces coquin là.

Vous êtes belge ?
Un autre expulsé est venu nous voir. Et voici ce qu’il nous a conté :
Depuis quinze jours on nous avait habillé en soldat. Nous transportions toute la journée des obus et des munitions dans les forts.
À mon dieu ! Qu’on était mal nourri, quand on était nourri.
On nous aurait sans doute retenu ainsi en esclavage jusqu’à je ne sais quand si les Allemands n’avaient pas appris la résistance héroïque de nos compatriotes.
Quand ils ont eu les nouvelles, ils nous ont enlevé l’uniforme, et ils nous ont expulsés, en nous donnant trois heures de délai. Passé cette heures nous étions prisonniers de guerre. 
Je voulais passer par le Luxembourg pour rejoindre mon pays. À la gare je demandais l’autorisation au Major.
Vous êtes belge ? Interroge-t-il.
Oui.
Eh bien, vous partirez vers Novéant avec le troupeau et je souhaite qu’on vous arrange là-bas comme vous arrangez les nôtres.
Qu’est-ce qu’on leur fait ?
On les lie au poteau, et les femmes leur crèvent les yeux avec des épingles.
Ce militaire doit prendre les Belges pour les Allemands sans doute.

Les fausses nouvelles.
D’ailleurs les journaux écrivent l’histoire de la même façon. Le Metzer Zeitung, que j’avais dans la poche, racontait hier que Pagny était bombardé, Pont-à-Mousson en flamme, et qu’on entrerait à Nancy aujourd’hui ou demain avec le prince Impérial, que j’ai vu à Metz en auto en costume de hussard de la mort.
Nous nous sommes aperçus que ce n’était pas tout à fait cela.

Un coup de baïonnette.
On nous a donc mis dans le train gardé par des soldats.
À Novéant on nous a débarqués, mis en rang et chassés. J’étais éreinté par la chaleur et le poids de mes pauvres colis.
Un des Bavarois me pousse. Je proteste. Il me donne un coup de crosse. Je regimbe. Il m’envoie dans la cuisse un coup de baïonnette qui heureusement n’a déchiré que mon pantalon et ma chemise.
Sans ma femme, qui m’a supplié de me taire, je crois bien qu’il serait arrivé un malheur.

À Pagny.
Enfin nous arrivons à Pagny. On nous accueille à bras ouverts. On nous loge à la mairie, à la Croix Rouge, chez les habitants si affectueux pour nous.

Les uhlans surpris.
Dans la nuit nous dormions, c’était la nuit de mercredi à jeudi, quand nous entendons des coups de fusil. C’était des uhlans qui venaient enlever quelques provisions comme ils avaient fait la veille. Mais les chasseurs français, qui étaient en embuscade les avaient canardés. Huit uhlans sont restés sur le carreau pendant que les autres prenaient la fuite. 
Aux postes français.
Le jeudi matin nous reprenions le chemin vers Nancy, et nous étions arrêté à chaque poste. Quel entrain partout ! Quelle joie d’avoir bientôt à combattre !
Les soldats français étaient joyeux comme ils n’est pas possible de l’être. Ils nous donnaient du vin, de la viande, du pain. Il nous promettaient un retour prochain à Metz, chez nous disaient-ils.
C’était une fête chaque fois que nous les rencontrions.
Puis on avait acheté des drapeaux, des rubans et on portait les trois couleurs au chapeau, sur la poitrine partout.  Ah je le garderai, tout cela !

La situation à Metz.
Et là-bas, à Metz qu’est-ce qu’on pense, qu’est-ce qu’on dit ?
On pense que dans trois semaines on mourra de faim. Le maire, M. Forêt a demandé aux autorités militaires quelles n’expulsent pas les commerçants. Les prussiens ne veulent rien savoir.
Mais en revanche, si les soldats ne sont pas bien nourris, et si la population connaît la famine, on les gorge d’heureuses nouvelles qui ne coûte rien au service de l’intendance.

Pas un !
On nous disait que les Français, après être arrivé près de Mulhouse avait été repoussés jusqu’au au-delà de Belfort. Qu’on avait fait 2000 prisonniers, qu’on allait les amener à la caserne du génie de Metz. Qu’on avait pris douze canons, trois mitrailleuses. Que les Allemands avaient envahi la France. Je n’ai pas vu de prisonniers français à Metz, ni de canons français ni de mitrailleuses françaises.
Mais ce que j’ai bien vu en arrivant à Pagny, c’est que je n’ai pas vu un seul allemand sur le sol français. Pas un !

Alexis Samain


Alexis Samain (1884-1940) président du souvenir français, association créée en 1887 pour commémorer les 100 000 soldats français morts pendant la guerre Franco-prussienne de 1870. Présente en Moselle occupée depuis 1906, elle finit par être interdite en 1913. 
Alexis Samain a bien été arrêté mais envoyé à la citadelle D’Ehrenbreistein. Il a été ensuite envoyé sur le front russe. Il revient à Metz le 18 novembre 1918 et participe aux cérémonies de la libération aux côtés des autorités militaires. 

Paul Pignon (1849-1927) rédacteur en chef du journal Le Messin.

Nicolas Houpert (1859-) rédacteur en chef du journal Le Lorrain. Décoré de la légion d’honneur en 1921. 

Journaux interdits de parution 31 juillet 1914 : Le Messin, Le Lorrain et Le courrier de Metz.  

Joseph Albert Béna (1875-1953) avocat. Décoré de la légion d’honneur en 1921. 
Victor Alfred Béna (1889-1944) médecin.